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tiques s’opèrent en Allemagne, que la France, pour n’employer qu’une expression générale, recouvrât les spontanéités naturelles de sa vie politique intérieure. On nous dit du côté de l’Allemagne que le prestige que la France a dû autrefois aux institutions représentatives est désormais effacé, et qu’après les mécomptes dont nous avons donné le spectacle au monde il est chimérique d’espérer que nous pouvons le posséder encore. Nous repoussons ces insinuations décourageantes ; nous ne nous résignerons jamais à croire que la vieille flamme libérale soit à jamais éteinte en nous. Nous ne faisons de ce côté aucun abandon de nos vœux et de nos convictions ; nous reconnaissons cependant que la question des libertés intérieures est malheureusement encore une cause de dissentimens et de divisions entre nous. Il faut courir avant tout aux intérêts qui nous rallient et nous unissent. Tels sont incontestablement les intérêts de la sécurité et de la défense nationale, l’intérêt suprême et pressant de l’organisation de nos forces militaires.

Nous ne nous opposons point aux accroissemens de puissance que la Prusse trouve dans la nouvelle réorganisation de l’Allemagne ; mais ces accroissemens de puissance obligent la France à examiner sans retard si son organisation militaire suffit à la situation qui se produit à côté d’elle. L’Allemagne est la patrie de l’optimisme ; des Pangloss ne manqueront point pour nous promettre que les succès de la Prusse tourneront au profit de la cause des peuples et de la paix universelle. Nous ne demandons pas mieux. En attendant, l’Allemagne, suivant la parole énergique de M. de Bismark, est affamée de puissance et se concentre dans les cadres d’une monarchie militaire. Tant qu’il en sera ainsi, il faudra que la France conserve vis-à-vis de cette monarchie au moins l’égalité des forces. Nous ne disons point seulement qu’il serait impardonnable aux Français de laisser altérer cette égalité des forces ; nous disons que c’est impossible. Consentir à l’infériorité serait de la part de la France une abdication brutale. La question étant posée, il n’est pas parmi nous de gouvernement, d’assemblée, de parti, d’opinion qui puisse accepter notre déchéance. Or la question, ce n’est point le caprice ou la théorie qui la pose, c’est l’inexorable nécessité, c’est le fait qui nous a démontré la force militaire de la Prusse, et qui en même temps qu’il la démontrait, l’a considérablement accrue.

C’est, parait-il, la destinée de la Prusse de donner de siècle en siècle des coups de fouet à l’esprit militaire de l’Europe. Quand Frédéric II, souverain de trois millions de sujets, médita, il y a cent vingt-cinq ans, de placer son pays au rang des grandes monarchies du continent, dès sa première campagne il donna au monde une surprise analogue à celle dont nous venons d’être frappés par le fusil à aiguille. « Le prince d’Anhalt, dit-il, qu’on peut appeler un mécanicien militaire, introduisit les baguettes de fer ; il mit les bataillons à trois hommes de hauteur. Un bataillon prussien devint une batterie ambulante, dont la vitesse de la charge triplait le feu