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par la race germanique. Nous devons assister à ce travail de réorganisation avec une curiosité sympathique, en donnant une attention vigilante aux accidens qui pourraient toucher nos justes intérêts. Le spectacle, sans contredit, sera compliqué et instructif. Nous allons voir ce qu’on fera pour assimiler à la Prusse les nouvelles provinces annexées, comment les états restés libres dans la confédération du nord et notamment la malheureuse Saxe s’adapteront à la direction militaire et diplomatique de la Prusse, de quelle façon s’établiront les rapports de la couronne et de la chambre populaire dans la Prusse proprement dite, ce que sera et comment fonctionnera le parlement fédéral qui doit être élu par le suffrage universel, et ce que deviendront enfin les états du sud. Ce travail complexe peut donner lieu à des agitations que la France suivra avec intérêt. Observons donc en ce qui touche l’indépendance intérieure de l’Allemagne les plus justes égards ; mais en remplissant ce devoir envers le prochain, la France a des besoins plus pressans encore à remplir envers elle-même. La tâche que l’Allemagne est en train d’accomplir impose à la France une tâche correspondante. Les derniers événemens ont changé notre position relative dans le monde. C’est en nous-mêmes, dans nos propres limites, ne donnant lieu à aucun ombrage étranger contre nous, que nous devons chercher les moyens de maintenir notre place dans la pondération des forces européennes.

Ceux qui ont observé avec sympathie depuis deux mois les mouvemens de l’opinion publique parmi nous ont été touchés de la sensibilité du patriotisme de la France. Étourdis par des faits qu’ils n’avaient point prévus, par la révélation d’un état de choses dont les causes et les tendances ne leur avaient été expliqués par aucune discussion préalable, les esprits furent saisis du souci intense des hasards que nous pouvions redouter. Tout le monde d’un même élan était prêt à courir où pouvait nous appeler l’intérêt national. On eût pu tout demander à l’abnégation et au dévouement de ce pays. Ceux qui ont participé à cette émotion n’oublieront point les ressources qu’on trouvera toujours dans le patriotisme français, et ils ont dû comprendre combien la France mérite d’être traitée avec générosité par ceux qui ont l’honneur de la conduire. C’eût été abuser des meilleures qualités de notre nation que de la compromettre pour un médiocre agrandissement de territoire dans une guerre de races ; mais ce serait négliger d’une manière coupable ses intérêts essentiels que de lui laisser ignorer l’urgence des efforts qu’elle doit faire sur elle-même dans sa vie intérieure pour se maintenir au niveau de son ancienne grandeur et de sa vocation dans la société des peuples.

Nous l’avons dit dès le premier moment, ces efforts devraient être de deux natures. La France a fait sa place dans le monde par son esprit et par sa force guerrière. Il ne serait pas trop, dans les circonstances présentes, de recourir à la fois aux deux grands agens de notre vie nationale. Il serait à coup sûr désirable, au moment où de grands changemens poli-