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monarchie militaire qui est en train de prévaloir aujourd’hui. C’est autour de la Prusse éblouissant le monde par l’éclat de sa puissance guerrière que l’Allemagne est en voie de se reconstituer. Dans la crise d’où est sortie la prédominance de l’intérêt prussien sur le véritable intérêt allemand, la France a-t-elle fait tout ce qui était nécessaire pour seconder la solution du problème germanique qui eût été la plus conforme à ses principes et à ses intérêts ? N’a-t-elle pas au contraire prêté à la solution prussienne un concours qui a déterminé hâtivement et par une influence accidentelle et artificielle la prépondérance de la politique berlinoise ? Voilà les questions que nous avons discutées à mesure que les événemens se préparaient et se déroulaient ; voilà aussi le débat qu’il n’y a plus d’intérêt à poursuivre, qui est clos pour l’heure présente, et qui ne sera rouvert que par l’histoire future. Il faut aujourd’hui aborder les faits tels qu’ils se présentent à nous. L’unité de l’Allemagne se confond avec la grandeur de la Prusse. Au nom des intérêts et des droits de la France, nous n’avons point à intervenir dans les questions intérieures soulevées en Allemagne par cette grande révolution.

Au premier moment, sous l’impression des perspectives d’agrandissement territorial qui nous avaient été montrées au mois de juin, dans ce tressaillement de susceptibilité patriotique dont la France fut remuée en voyant éclater la force conquérante de la Prusse, on pensa peut-être à des compensations territoriales. On a eu raison de ne point s’arrêter à cette idée. Les compensations territoriales que la nature semble avoir destinées à la France, on n’eût pu évidemment les obtenir que par la guerre. La guerre à la Prusse, quand même elle n’eût point été contradictoire à la politique antérieure, quand même des préparatifs militaires suffisans nous eussent permis de l’entreprendre, eût été une imprudence calamiteuse. Par une telle guerre, nous aurions trompé l’Allemagne sur la vraie politique de la France, nous aurions réveillé les vieilles et funestes haines de races, nous aurions maladroitement donné à croire à l’Allemagne que c’était son indépendance que nous voulions combattre dans l’ambition de la Prusse, nous aurions identifié à jamais dans le cœur des Allemands le patriotisme germanique avec les destinées prussiennes. Cette guerre eût été non-seulement inopportune et cruelle, mais insensée. Il ne fallait donc point songer à des compensations territoriales. Ce n’était pas de ce côté que notre droit et notre intérêt bien entendu nous conseillaient de porter nos pensées et notre action. Abstenons-nous d’intervenir dans les affaires de l’Allemagne pour y contrarier l’expérience qui s’y tente. Les Allemands ont fait appel à la force prussienne ou se sont soumis à elle pour le règlement de leur constitution intérieure. Soit ; cela les regarde. Il est possible que l’expérience trompe leurs illusions ou réussisse à leur gré. Si la domination prussienne n’est point sans désagrémens, le peuple prussien et son gouvernement ont des qualités solides qui peuvent faire accepter leur hégémonie