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surprises de l’imprévu, et qui avant l’action invoquaient pour nous les droits du libre examen ; mais à quoi servirait aujourd’hui de continuer une querelle, devenue sans objet dans le présent, et, quand il est avéré qu’on s’est à peu près trompé de tous côtés, de se combattre les uns les autres pour la prétention la plus ridicule qui se puisse élever en politique, la prétention à l’infaillibilité ? Tout le monde se trompe ; la seule faute funeste et impardonnable, c’est l’obstination dans l’erreur produite par la vanité et engendrant l’intolérance. Au fond, les opinions libérales poursuivent des objets identiques : elles veulent établir la justice dans la constitution indépendante des peuples ; elles veulent que les gouvernemens émanent des volontés nationales ; elles veulent par conséquent l’établissement et le développement des institutions libres. Suivant les origines, les procédés d’esprit, les diversités de caractère, l’aspect mobile des circonstances, on s’attache avec plus ou moins de vivacité à tel ou tel côté de l’œuvre démocratique et libérale ; mais il ne doit point y avoir de division acrimonieuse et invétérée entre ceux qu’anime le souffle généreux des rénovations modernes.

Un grand inconvénient de ces malentendus est de faire dévier les uns et les autres de leur terrain naturel. Un mal plus grave encore serait d’entraîner par des irritations étourdies la politique d’un pays tel que la France à des résolutions irréfléchies et à des partis violens. Il importe autant à notre sécurité qu’à notre honneur que la France ne soit point exposée par des imprudences de polémique à se tromper dans le mouvement de ses susceptibilités et à donner le change à la nation allemande sur la vraie nature de ses sentimens. Il faudrait qu’il fût bien entendu que personne en France ne prétend contester en principe à l’Allemagne le droit d’établir avec une complète indépendance sa constitution intérieure. Il y a bien des années que, parmi nous, les esprits avisés ont observé avec un sérieux intérêt les tendances de l’Allemagne vers l’unité politique. Un jour ou l’autre, par tel ou tel moyen, les populations allemandes, cela était manifeste, devaient s’unir par un pacte plus rationnel et plus efficace que la combinaison adoptée par le congrès de Vienne. Les libéraux français, en face de ce grand travail d’unification, ne réclamaient qu’un droit, le droit d’exprimer une préférence entre les divers systèmes d’union possibles en Allemagne. L’union germanique pouvait en effet s’accomplir de deux façons : par la liberté ou par la force. En conservant ses autonomies locales et en les plaçant sous l’autorité et la sauvegarde d’un parlement national, l’Allemagne pouvait réaliser l’union fédérale à la manière américaine ; elle pouvait aussi arriver à l’unité sous la direction et la forme d’une monarchie militaire. Les deux méthodes avaient leurs partisans au-delà du Rhin, et les libéraux français n’offensaient point leurs voisins sans doute en donnant leurs sympathies au système de l’union fédérative et parlementaire soutenu par les patriotes les plus éclairés et les plus désintéressés de l’Allemagne. C’est l’autre système, le système de l’unité par la force et de la concentration par la