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était matériellement impossible de franchir en moins de quinze ou vingt jours, ceux-ci les cinq cents, ceux-là les sept ou huit cents kilomètres qui les séparaient de Paris ; s’il lui avait été permis par conséquent de garder près de lui Augereau et Soult avec toutes leurs troupes ? que se serait-il alors passé ?

Par la ligne de Paris-Mulhouse, arriver avec des forces doublées sur Schwartzemberg au moment où il débouchait de la trouée de Belfort, le culbuter, le battre à outrance, et le refouler impuissant et mutilé au-delà du Rhin ; remonter en quelques heures par Épinal et Nancy jusqu’à Metz, et de ce côté tomber sur Blücher, qui nous envahissait par la Moselle et la Meuse ; lui infliger un échec plus complet que ceux de Champaubert, Vauchamp ou Soissons ; descendre ensuite au midi par la ligne d’Orléans, pour offrir en personne la bataille aux Anglais de Wellington, qu’y aurait-il eu la d’impossible pour le général et l’armée qui, privés des corps de Soult et d’Augereau, dans le seul mois de mars 1814, livrèrent quatorze batailles, remportèrent douze victoires, et défendirent les approches de la capitale contre trois armées, chacune bien supérieure en nombre ? Cette hypothèse après tout, qu’est-ce autre chose que le plan même de l’empereur, avec plus de rapidité dans l’exécution, de cohésion dans la résistance, c’est-à-dire avec les chances de succès que l’existence et l’emploi des chemins de fer lui auraient infailliblement communiquées ?

Il nous serait facile, en décrivant les réseaux de chemins de fer qui sillonnent les deux pays, théâtres de la dernière guerre d’Allemagne et d’Italie, de montrer quel plus fréquent et plus profitable usage il eût été loisible aux généraux d’en faire, avec des moyens de transport mieux appropriés et à la masse des troupes et à l’étendue des opérations ; mais peut-être est-ce déjà trop d’être revenu une fois sur des faits accomplis.

Pour finir en nous résumant, l’importance croissante du rôle de la télégraphie électrique et des chemins de fer dans la guerre, l’importance et l’opportunité de cette nouvelle et double organisation, l’une corollaire de l’autre, — télégraphie souterraine et trains spéciaux, — voilà ce que nous serions heureux d’avoir contribué à mettre en lumière. Ces deux innovations tendent au même but, produiront le même résultat, rapidité de plus en plus accélérée, durée de plus en plus amoindrie de la guerre.

Un jour viendra peut-être où, par suite de l’immixtion progressive dans la guerre de la science et de l’industrie réunies, l’on verra opposer les unes aux autres, non plus des armées, mais des inventions. Un jour viendra certainement où cette maladie, dont il est difficile de prédire la disparition, sera traitée assez rapidement, réduite à une durée assez insignifiante pour n’être plus considérée dans la vie des peuples que comme un accident passager, sans influence appréciable sur leur santé, rendue de plus en plus florissante par le travail de la paix et de la civilisation.


LOUIS GREGORI.