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ces forces qui sont disséminées d’une extrémité d’un pays à l’autre, dépôts, réserves et garnisons !

La puissance du nombre, tel devient de plus en plus entre les nations civilisées le poids qui fait pencher la balance des batailles. Le nombre, c’est le gage du succès. « Une victoire, disaient Moreau et Bonaparte, c’est le triomphe du grand nombre sur le petit. » Dieu, dit l’adage populaire, Dieu est avec les gros bataillons. Combien ce principe deviendra plus vrai encore, maintenant que les perfectionnemens apportés à l’arme du soldat, le fusil, vont donner à la multiplication du tir une efficacité toute nouvelle ! On peut dire que l’issue d’une bataille dépendra et de la nature des armes et du nombre d’hommes que chaque combattant fera entrer en ligne. Ce n’est donc pas sans raison que nous insistons sur cette facilité de concentration, un des mérites de l’application actuelle des chemins de fer au transport des troupes, mais qui deviendra, dans les conditions nouvelles que nous avons exposées, un élément stratégique de la dernière importance.

Si un pays est attaqué par une coalition, pourquoi diviserait-il ses forces ? Pourquoi opposerait-il un corps d’armée différent à chaque adversaire ? Le chemin que ceux-ci font en un jour, il peut le faire faire en moins d’une heure à ses troupes ; il a donc le temps d’offrir la bataille à chacun d’eux séparément avant que, par des marches combinées, il leur ait été possible de se rapprocher assez pour se prêter mutuellement main-forte. C’est donc la même armée, composée de la meilleure partie des forces nationales, qu’il portera successivement au centre, à droite et à gauche. L’infériorité du nombre ne sera donc plus de son côté ; elle sera plus réellement du côté des envahisseurs, naturellement divisés, ne pouvant disposer de cette inappréciable ressource d’un transport presque instantané, n’en ayant d’autre que de couper les railways au fur et à mesure qu’ils se présentent, tout à fait Impuissans du reste à interdire aux troupes qu’ils attaquent dans leurs foyers l’usage des chemins de fer qui fonctionnent derrière elles et qu’elles protègent par leur présence. Il est donc probable que les chemins de fer, indépendamment de quelques autres causes, pourront porter un coup réel à l’art de l’invasion ou en modifier les principes.

Qu’on imagine par exemple notre réseau ainsi que l’organisation nouvelle en pleine activité dès 1814. Quels secours n’en eût pas reçus la tactique favorite de l’empereur, qui consistait, en présence de plusieurs adversaires, à prévenir leur réunion, ou à les séparer, les couper les uns des autres, et à les battre isolément ! Assurément cet état de choses eût changé aussi dans une certaine mesure la tactique des coalisés ; mais nous est-il défendu de croire qu’on aurait plus difficilement envahi notre territoire et surtout pris notre capitale, si l’empereur, en peu de temps, sans exténuer ses troupes par des marches et contre-marches répétées, avait pu se transporter d’une frontière de la France à l’autre ? S’il lui avait été permis de négliger momentanément les Autrichiens qui se dirigeaient sur Lyon, les Anglo-Espagnols qui marchaient sur Toulouse et Bordeaux, mais à qui il