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puissance que celle qui pourra lui être opposée du rivage. De là, dans l’attaque d’un pays par mer, une infériorité inévitable pour l’agresseur, une supériorité sensible pour la défense.

Si le raisonnement n’y suffisait pas, de récentes expériences démontreraient surabondamment cette vérité. Sans parler de l’impuissance de la flotte italienne contre les batteries de Lissa, événement trop voisin de nous pour qu’il soit nécessaire d’y appuyer, nous rappellerons l’échec essuyé par l’escadre cuirassée espagnole dans les eaux du Pérou. Lorsque cette escadre s’est attaquée aux batteries blindées du Callao, elle a été forcée non-seulement de battre en retraite après un feu de quatre ou cinq heures à peine, mais de couler deux de ses frégates, mises hors de service par des avaries irréparables. Et pourtant les Péruviens n’avaient que cinquante et une pièces à opposer aux deux cent soixante-quinze canons des Espagnols.

Qu’on ajoute maintenant l’emploi de ces engins destructeurs, torpilles et autres, qui se cachent sous l’eau et rendent une côte presque inabordable aux navires de guerre ; qu’on songe aussi à ces bâtimens d’un rang inférieur, mais d’une puissance incomparable, monitors à tours et à éperons, une des plus redoutables inventions de la science navale américaine, qui offrent par leur forme peu de prise aux feux les mieux nourris, dont une flotte peut difficilement se faire accompagner, parce qu’ils ne sont pas faits pour les longues traversées, mais qui sont particulièrement aptes à la défense des côtes ; on devra bien conclure avec nous qu’entre puissances maritimes de même rang l’offensive devient de plus en plus périlleuse, et la défensive de plus en plus avantageuse et facile. Fort chez soi, faible chez autrui, telle est la loi qui commence à se dégager pour chaque peuple, en ce qui concerne la guerre navale, des moyens de défense et d’attaque tels que les font des innovations multipliées. La conséquence toute naturelle à déduire, c’est que l’agression, rebutant par ses difficultés les plus belliqueux, la guerre deviendra plus rare sur mer.

Eh bien ! dès que sera adoptée cette organisation des chemins de fer sur laquelle nous nous sommes assez longuement expliqué, on verra la même loi régir la guerre continentale. Nous parlons, bien entendu, de conflits entre puissances de même rang. Il n’y a pas de présomption à l’affirmer, tout pays attaqué, envahi, s’il possède un réseau de chemins de fer complètement développé, possédera en même temps sur ses agresseurs un notable avantage. Ceux-ci n’ont pour s’avancer que les moyens ordinaires de locomotion, les jambes des soldats pour l’infanterie, les jambes des chevaux pour la cavalerie. Les généraux chargés de la défense nationale ont la vapeur à leur service, c’est-à-dire qu’il leur sera facile, quand ils voudront, où ils voudront, de créer entre eux et leurs antagonistes une disproportion numérique tellement considérable, que l’issue d’une bataille pourra cesser d’être douteuse. Il faudra si peu de temps pour réunir à un moment donné, en n’importe quel endroit du territoire, non-seulement tous les corps d’armée chargés d’opérer sur d’autres points, mais toutes