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métallurgique particulière, à l’application, en un mot, d’une nouvelle force créée. par la science et l’industrie alliées, il n’est pas moins clair, il n’est pas moins incontestable qu’il n’y a d’avantage décisif à introduire ces réformes dans son matériel de guerre que si on devance en quelque manière ses rivaux, et qu’on détruise ainsi à son profit l’équilibre si prompt à s’établir entre les arméniens des grandes puissances.

Canons rayés contre canons rayés, navires cuirassés contre navires cuirassés, fusils à aiguille contre fusils à aiguille, on se retrouve absolument au même point que lorsqu’on combattait avec l’ancienne artillerie, l’ancienne marine ou l’ancien fusil. L’important donc n’est pas de découvrir, mais d’appliquer vite, pour être non pas aussi avancé, mais plus avancé que ses concurrens. Si le raisonnement n’y suffisait pas, le triple enseignement qui résulte des dernières guerres d’Italie, d’Amérique et d’Allemagne prouverait jusqu’à l’évidence la nécessité, dans l’art de la guerre, d’innover sans cesse.

Si simple que cette vérité paraisse aujourd’hui, il n’est pas inutile d’y insister. On ne peut pas opposer de meilleure réponse aux raisonnemens, aux timidités, aux résistances de la routine. La routine certes, c’est bien dans tout ce qui se rapporte à l’art militaire qu’elle a le moins d’empire. Que peut-elle contre l’évidence des faits ? Devant cet argument irrésistible, la victoire ou la défaite, quelle autorité garderait-elle encore ? Et cependant on a vu que le fusil à aiguille, une des causes du succès dans une des belles campagnes du siècle, a été repoussé par les commissions militaires de toute l’Europe, raillé par tous les comités d’armement avant d’être adopté en Prusse[1]. Maintenant les gouvernemens s’évertuent à démontrer qu’ils ne se sont pas laissé prendre en défaut, qu’ils connaissaient depuis longtemps le fusil en question, qu’ils ont cherché, trouvé, adopté un meilleur système. Il n’en est pas moins vrai que les Prussiens sont en possession de leur zündnadelgewehr depuis 1849, qu’en France, en Angleterre et ailleurs on en est encore aux essais, et qu’on témoigne suffisamment par l’empressement qu’on met partout à modifier l’ancien armement et de la surprise causée par la puissance du nouvel engin et de la dédaigneuse indifférence que cette innovation avait généralement rencontrée.

Oui, à n’en juger que par leur grande guerre civile, il faut avouer que les Américains, dans l’application à l’art militaire des découvertes scientifiques et industrielles, montrent, comme en toute chose, sinon plus de génie, au moins plus d’audace et d’initiative que nous, Européens, Français

  1. Voyez, dans la Revue du 15 juillet dernier, l’article de M. Xavier Raymond sur la Guerre en 1866. « Si l’on s’en rapportait aux documens officiels, dit M. Raymond, on verrait aisément que la plupart des innovations ou des projets qui frappent aujourd’hui les esprits ont mis bien du temps à obtenir la notoriété dont ils jouissent. En ce monde, c’est le lot ordinaire des inventeurs et de leurs inventions. » Du même article il ressort que M. le colonel Trouille de Beaulieu avait trouvé le canon rayé dès 1832, et que la découverte du fusil à aiguille date de 1841.