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Répondons rapidement à deux assertions sans cesse reproduites. Les transactions se sont énormément accrues, la production a doublé, les exportations ont quintuplé depuis 1844, est-il possible que la somme des billets demeure stationnaire ? Loin d’affaiblir l’argument, nous sommes tout disposé à le fortifier ; la somme des billets, au lieu de demeurer stationnaire en Angleterre, a diminué ; cependant, au lieu de nous en plaindre, nous croyons devoir en féliciter ce grand pays, car c’est au progrès considérable de la richesse et au développement énorme du crédit qu’est dû ce phénomène. Le savant Babbage estimait à 7 pour 100 le montant des billets qui servaient à solder en 1839 environ 1 milliard de livres (25 milliards de francs) de titres commerciaux balancés par le clearing-house[1]. En appliquant la même proportion aux 5 milliards de livres (125 milliards de francs) compensés par cet établissement en 1865, on arriverait au chiffre colossal de 350 millions de livres, plus de 8 milliards de francs de billets employés au même office, qui s’accomplit aujourd’hui au moyen d’un simple virement sur les livres de la Banque d’Angleterre. Cet exemple suffit pour montrer combien le mécanisme perfectionné du crédit économise sur les signes de la circulation. Les comptes courans, les chèques et le clearing-house constituent de puissans instrumens compensateurs qui dispensent de recourir au billet de banque, et qui réalisent une économie notable sur l’emploi du capital monétaire. — Deux voies sont ouvertes pour atteindre le résultat que recherchent avec une ardeur quelque peu exagérée ceux qui veulent restreindre dans d’étroites limites la valeur de la circulation métallique. On peut avoir recours à la circulation fiduciaire, au billet de banque ; mais celui-ci ne fournit en fin de compte qu’une médiocre ressource. Quand on ajouterait 100 ou 200 millions au demi-milliard d’espèces qu’il permet d’utiliser autrement en Angleterre et en France, — et c’est tout ce que les partisans les plus déterminés de la monnaie fiduciaire osent promettre, — ce ne serait pas encore là un résultat fort considérable. Le succès est bien autrement large avec les institutions de crédit dignes de ce nom, avec des banques nombreuses qui ouvrent des comptes courans sans qu’elles émettent un seul billet faisant office de monnaie, et qui correspondent entre elles au moyen d’une maison de compensation (clearing-house). Nous avons eu occasion de l’établir il y a bientôt vingt ans[2] : « le crédit ne consiste point à multiplier le signe d’échange, mais à donner le moyen de s’en passer en favorisant les viremens de compte et en rapprochant à de bonnes conditions les capitaux, c’est-à-dire

  1. Maison de compensation..
  2. De l’Organisation du Crédit foncier, octobre 1848.