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n’en était pas moins restée dans le goût et le sentiment des masses. Qu’on sache bien que la Perse, même après la mort d’Alexandre, était un pays de commerce et de luxe par excellence. Babylone avait entassé trop longtemps dans son enceinte les richesses fabuleuses dues au commerce de l’Inde, dont elle était le plus vaste et le plus actif entrepôt, pour qu’il n’en fût pas resté une trace profonde. L’Euphrate, encaissé dans l’intérieur de la ville par d’immenses quais en briques, était encombré de navires et de barques venant de l’Inde ou descendant vers Alep, Tarsis et les autres villes du littoral méditerranéen. Toutes ces contrées étaient arrivées au suprême degré de richesse. Les tapis merveilleux, inimitables encore aujourd’hui, les étoffes d’or, de soie, de coton et de laine, les émaux, les armes, les verreries, les nielles, les ciselures, les meubles, les vernis, les parfums, ces ustensiles riches et délicats où les incrustations, les pierreries et les peintures s’harmonisent avec une si rare perfection, les manuscrits aussi beaux par la plume que par le pinceau, venaient de ces pays. Le Bas-Empire recevait de là par les caravanes tout son luxe. Aussi ce mirage de l’Orient fascinait-il les Romains depuis les efforts qu’ils avaient faits pour le conquérir. N’en a-t-il pas été de même depuis le commencement du monde jusqu’à nos jours ? Le commerce avec l’Orient ou, pour parler plus exactement, avec l’Inde ressemble à ces talismans dont nous entretiennent les contes arabes, et dont la possession est un gage assuré de puissance. Heureux les peuples qui sont parvenus à s’en emparer ! Ils y trouvent la richesse et par la richesse une influence prédominante dans le monde.

Les deux premières grandes monarchies connues, celle des Assyriens et celle des Égyptiens, n’ont pas dû à une autre cause cette grandeur qui nous étonne. Depuis l’antiquité la plus reculée, s’assurer le monopole du commerce indien est l’objet de l’ambition des peuples et la cause de leurs plus grandes guerres. La rivalité des centres commerciaux de Nivive, de Thèbes et de Babylone donna lieu aux luttes qui ont immortalisé le nom de Rhamsès le Grand ou Sésostris ; le dernier résultat des batailles de ce prince fut la fondation de la colonie de Colchos, destinée à détourner le courant commercial vers l’Égypte. Les Argonautes n’avaient pas un autre but, et le génie poétique de la Grèce l’a caractérisé par le symbole de la conquête d’une toison d’or. Le génie d’Alexandre développe et continue la même politique. Les Romains la poursuivent à leur tour et s’assurent la possession de l’Égypte ainsi que celle des deux rives de l’Euphrate, c’est-à-dire les clés des deux grandes routes de l’Inde. La naissance de l’islamisme renverse l’édifice élevé par la sagesse des premiers empereurs ; mais bientôt, afin de soustraire le