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face s’élève le château du Maure avec ses hautes bastilles et le jeu changeant de ses signaux maritimes. Les voiles louvoyantes qui s’ébattent à l’entrée de la rade animent la mer azurée aux bandes vertes. — Ici c’est le clipper américain avec sa longue, basse et mince carène, ses trois mâts légers et effilés, sa triple pyramide à six étages de voiles courtes et tendues. — Ce nuage blanc à l’horizon a fait flotter sur le Moro la banderole tricolore. C’est un vaisseau français en route peut-être pour le Mexique avec ses trois étages de grandes voiles gonflées. — Ce serpent blanc qui glisse là-bas sur les vagues, mince et effilé comme un lézard, avec sa cheminée et ses deux petits mâts cambrés en arrière, c’est un blockade-runner confédéré de Galveston. Le hardi petit contrebandier est encore loin à la gauche ; mais, avant que ces voiliers nonchalans aient atteint l’entrée de la rade, il a déjà fièrement arboré son pavillon proscrit et franchi l’étroit goulet crénelé de la citadelle. Son propriétaire est peut-être ce grand Yankee aux épaules robustes, à l’œil farouche, à la fauve barbe rousse, que son extérieur nous a fait prendre hier, à table, pour un de ces entrepreneurs de piraterie qui exploitent la détresse des états du sud. Depuis que l’île anglaise de Nassau a perdu ses débouchés, Wilmington, Charleston et Savannah, — la Havane est le refuge de tous ces aventuriers. Ils s’en vont chercher jusqu’au Texas le port écarté de Galveston. Ce débouché peut servir à l’exportation des produits du sud-ouest ; mais le sud-est, séparé du Texas par les solitudes ravagées et la ligne incertaine du Mississipi, n’y peut ni transporter son coton, ni envoyer prendre les armes, les munitions, les cuirs, les étoffes, qui sont indispensables à sa vie. On parlait dernièrement d’un conflit d’autorité qui s’était élevé entre le général Lee et le commandant de l’armée de l’ouest, Kirby Smith. Le gouvernement confédéré, renonçant enfin à l’immensité de ses prétentions territoriales, voulait ramener près des côtes les bandes agglomérées des guerillas transmississipiennes ; l’ordre avait été envoyé à Kirby Smith d’abandonner et ses vains brigandages, et sa domination nominale sur les régions de l’ouest. Kirby Smith n’obéit point : le bruit courut qu’il était en révolte, et qu’il allait joindre ses armes à celles des fédéraux ; puis on apprit tout bonnement que, s’il n’avait pas obéi, c’est qu’il n’avait pas pu le faire. Son armées composée d’élémens épars, n’était bonne que pour une guerre irrégulière et barbare, et se dispersait à la première menace de discipline. Voilà par quel lien précaire les états du sud-ouest tiennent encore au tronc défiguré de la confédération rebelle. Galveston et ses blockade-runners peuvent prospérer et s’enrichir, sans que l’air respiré par cette fissure passe dans le sang des confédérés. Leur unique soupirail était hier