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la Vénétie est une province italienne d’âme et de cœur, dont il serait puéril de vouloir faire revivre l’autonomie ; mais c’est une province ruinée, épuisée d’impôts, de taxes extraordinaires, de réquisitions, d’occupations militaires, une province qui a payé 100 millions la guerre de 1859. Ressources des communes, fortunes privées, industries locales, commerce, ont été rudement atteints, et c’est un serviteur de l’Autriche qui écrivait : « A partir de la guerre de 1859 commence pour Venise une phase de décadence si rapide que peut-être n’en trouverait-on pas un second exemple dans l’histoire de notre commerce. » De telle sorte que matériellement Venise n’offre pas peut-être une grande ressource ; elle ressemble à un grand corps endolori, épuisé, qui a besoin de se refaire. C’est sous l’influence d’un régime libre, c’est en retrouvant ses rapports naturels avec la Lombardie et les autres provinces italiennes que la Vénétie peut se relever ; c’est par la liberté que Venise peut redevenir la rivale de Trieste et revoir ses navires sur toutes les mers d’où ils se sont retirés depuis longtemps. C’est pour l’Italie un gage de puissance dans l’avenir ; pour le moment, c’est une œuvre de réparation à réaliser, c’est-à-dire une complication intérieure de plus au milieu de toutes les complications dont l’Italie doit triompher pour s’affermir définitivement.

Une autre difficulté, et celle-là se lie à une situation générale, à toute une politique, tient aux circonstances mêmes dans lesquelles s’est accomplie cette renaissance de Venise à la vie nationale. Elle implique, à vrai dire, une question d’alliances. L’Italie, cela est bien clair, n’a pas été militairement heureuse, quoique ses soldats aient mérité le succès. Ce n’est pas par les armes qu’elle a emporté la Vénétie ; ce n’est pas devant elle que la domination autrichienne a battu en retraite. Par orgueil ou par calcul, l’Autriche n’a voulu se retirer qu’après une victoire sur les Italiens, et en abandonnant alors la Vénétie ce n’est pas aux Italiens qu’elle a voulu la laisser, c’est à la France qu’elle l’a cédée.

Que l’Italie se soit émue, se soit sentie blessée dans son orgueil militaire et national par un procédé qui semblait l’humilier devant la France ; qu’elle ait tenu à reprendre sa marche en avant, même quand elle ne rencontrait plus d’ennemi, pour rester fidèle à l’alliance prussienne, elle le pouvait sans doute, elle le devait peut-être. Elle a malheureusement trop laissé voir comme un vieux fonds de mauvaise humeur et d’animosité contre la France. Elle s’est trop hâtée dans l’impatience de ses irritations. Blessée elle-même par l’Autriche, elle a blessé à son tour un certain instinct français. Il en est résulté en France un vrai froissement, presque un refroidissement subit pour les succès ou les revers de l’Italie, une sorte