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impossible. La vérité est que cette paix de Villafranca et de Zurich, combinée avec cette révolution de l’unité italienne qui en était l’épilogue inattendu, créait une de ces situations aussi exceptionnelles que violentes qui ne sont plus qu’une trêve agitée. Tout avait un caractère étrange dans cette situation où l’Autriche, restée maîtresse de la Vénétie, se trouvait réduite à une défensive de plus en plus pénible, et où la Vénétie, déclarée diplomatiquement italienne, en était pour le moment à se débattre dans des conditions aggravées. Politiquement les provinces vénitiennes n’avaient pas même l’avantage des clauses de ce traité de Zurich qui les laissait sous une souveraineté étrangère, puisque l’Autriche se trouvait déliée de ses engagemens par la révolution qui transformait l’Italie, et plus l’Autriche se sentait menacée, cernée par cette révolution d’une nationalité grandissante, plus elle se rejetait dans tous ces expédiens de la force que la diplomatie anglaise elle-même lui reprochait. C’était le consul d’Angleterre à Venise qui écrivait un an après Zurich : « Pour donner quelque idée de la manière arbitraire dont ce peuple est traité, je dirai qu’un grand nombre de personnes respectables qui ont été arrêtées n’ont jamais été jugées et sont toujours en prison. Pendant ces derniers jours, un peintre nommé Coffi a été mis en jugement pour avoir fait la caricature du prêtre Zinelli ; il a été acquitté, mais il est toujours en prison. Le même fait est arrivé à la comtesse Calvi pour une accusation insignifiante. » Économiquement la Vénétie ne se sentait pas moins atteinte ; tout ce qui se faisait en Italie tournait contre elle. La communauté d’intérêts qui la liait à la Lombardie se trouvait brisée par le caprice d’une frontière nouvelle, par les lignes douanières, tandis que d’un autre côté les Romagnes, les Marches, les duchés, Naples elle-même, toutes ces provinces avec lesquelles la Vénétie avait conservé jusque-là un commerce étendu, trouvaient désormais plus commode, moins onéreux de se tourner vers Gênes et la Ligurie. C’était un si singulier état que Mantoue et Vérone pouvaient recevoir de Gênes certaines marchandises à meilleur marché que de Venise elle-même.

Politique, intérêts, sentiment national incessamment excité par le spectacle contagieux de l’Italie transformée, tout aggravait la scission, et de fait cette scission était désormais complète entre l’Autriche et ce dernier fragment de sol italien sur lequel elle tenait encore à laisser flotter son drapeau ; elle était si complète que lorsque le gouvernement de Vienne, cherchant à se retremper dans la vie constitutionnelle, essayait d’attirer des députés vénitiens dans le conseil représentatif de l’empire, il ne rencontrait qu’un refus obstiné. La plus grande partie des communes ne se réunissait pas ou s’abstenait de nommer les délégués du premier degré ;