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et surtout d’agir, on lui répondait par des plans impossibles d’assemblée constituante qui supposaient d’abord l’Italie affranchie, et qui commençaient par diviser tout le monde. Lorsqu’il demandait qu’on l’aidât un peu dans sa détresse financière, on refusait d’admettre le papier qu’il émettait, on s’empressait peu de prendre des actions de sa banque, et ce qu’on lui envoyait prouvait que l’enthousiasme de la bourse n’était pas à la hauteur de l’enthousiasme des paroles, témoin ce lamentable aveu échappé aux membres du gouvernement provisoire vers le mois d’octobre 1848 : « tous les secours envoyés d’Italie se bornent jusqu’ici à la misérable somme de 26,000 francs, et nous ne savons ce qui reste à espérer ; mais la Providence viendra à notre secours. » Les comptes de l’administration vénitienne à la fin de janvier 1849 portent ces sommes venues d’Italie à 183,000 francs. Et Venise dépensait 100,000 francs par jour avec la plus stricte économie ! Il était évident que plus on allait, moins Venise pouvait attendre de l’Italie.

Où était donc le secours ? pouvait-il venir du dehors ? Tout semblait assurément l’indiquer. Manin, quant à lui, ne s’y était pas mépris un seul moment. Depuis la première heure, sans désavouer absolument la confiante illusion des Italiens, qui voulaient au moins tenter de s’affranchir par eux-mêmes, il avait cru à la nécessité, pour l’Italie asservie, pour Venise particulièrement, de s’adresser aux puissances libérales de l’Europe, à l’Angleterre elle-même, mais surtout à la France transformée en république, à cette France qu’il devait croire la protectrice, l’alliée naturelle des nationalités en travail d’affranchissement. C’était sa première pensée, et il y revenait à chaque crise ; il envoyait ambassadeurs sur ambassadeurs, Pasini après Tommaseo, pour intéresser la république française à celle qu’il appelait une « jeune sœur de l’Adriatique. » Même quand les déceptions se succédaient, il ne pouvait pas croire que la France abandonnât une telle cause, et il ne faisait qu’exprimer le sentiment universel qui régnait à Venise, que le consul français reproduisait en écrivant ce qu’il avait entendu : « Dussions-nous être écrasés, nous combattrons jusqu’à ce que nous soyons certains que la France nous abandonne ! elle verra que nous étions dignes de toutes ses sympathies. » Manin espérait aussi un peu une intervention du gouvernement anglais, mais avec moins d’abandon.

Je ne parle pas de l’Angleterre. Depuis bien des années, l’Angleterre se donne ce passe-temps d’être d’autant plus hardie dans ses paroles, dans ses jugemens sur les mouvemens de l’Europe, qu’elle est plus retenue dans ses actions. Du haut de sa prospérité et de sa sécurité, elle contemple avec philosophie ces tempêtes périodiques où peuples et gouvernemens s’abîment et se relèvent tour à tour.