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pays où l’influence grecque est prépondérante. Toute l’importance de l’art y est placée pour ainsi dire dans la peinture et la sculpture ; on y est assez volontiers disposé à considérer un tableau, une statue comme les manifestations les plus caractéristiques du beau, celles dans lesquelles il se symbolise de la manière la plus complète et la plus frappante. Il faut convenir que cette façon de concevoir la beauté de la forme, malgré ce qu’elle a d’étroit et le cadre restreint dans lequel on s’est volontairement renfermé en l’adoptant, a engendré des chefs-d’œuvre. Loin de nous la pensée de diminuer l’irréprochable beauté des statues grecques ! Il faut convenir aussi cependant que l’éclosion de ces chefs-d’œuvre a exigé un concours de circonstances exceptionnelles, a été favorisée par des conditions de race, de climat, d’institutions, de milieu, qui ne se reproduiront plus. On ne saurait nier, en Grèce, l’influence de la gymnastique sur la statuaire. Les jeux si fort en honneur, les luttes d’athlètes nus s’exerçant au grand air, devaient à la longue, en même temps qu’ils donnaient au corps humain les proportions les plus belles, porter au plus haut degré le sentiment de la beauté plastique. Ils devaient aussi corrompre les mœurs. La religion chrétienne et celle de Mahomet crurent nécessaire de proscrire sans pitié ces représentations voluptueuses ; mais cela ne supprimait en rien le sentiment parfait de la forme, qui est un sentiment inné. L’art architectural est celui où ce sentiment trouve la plus haute expression dont il soit susceptible, l’application la plus large et la plus subtile. Une peinture, une sculpture, ne sont que les détails d’un temple ou d’un palais ; les grandes perspectives de Thèbes, de Memphis, de Babylone, de Ninive, du Caire ou de Venise, ont une signification plus élevée et plus complexe. Elles témoignent en faveur d’une société d’une façon autrement éloquente que la Vénus de Milo ou un bas-relief de Phidias. Pour faire passer dans les profils d’un monument, dans la physionomie d’une ville, non-seulement les proportions et l’harmonie qui distinguent la forme humaine, mais le sentiment et comme le résumé de la civilisation et de l’esprit d’une race, il faut une intuition plus puissante, un symbolisme plus profond que pour copier le corps de l’homme.

Cet art de l’architecture a des procédés qui lui sont tellement propres, une manière tellement spéciale de comprendre et d’interpréter le beau ; il se sépare si nettement des autres arts par des combinaisons de lignes, des formules, des tendances particulières, qu’il paraît impossible de ne pas le rattacher à une faculté définie de l’esprit, à un instinct sui generis, susceptible d’une classification à part parmi les facultés de l’homme, — la faculté ou l’instinct de la construction. Les divers historiens qui ont traité de l’origine