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lexicographiques, grammaticales et prosodiques par lesquelles la langue française a passé dans son premier âge. il ne pouvait guère prétendre à en donner un tableau complet. Il rencontrait ici bien des questions encore sujettes à controverse ou sur lesquelles plane une grande obscurité, comme, par exemple, la prononciation du vieux français ou la substitution du vers syllabique au vers métrique. M. Pellissier s’arrête sur ces divers points aux explications les plus généralement admises, ou qui paraissent jusqu’à présent les plus plausibles. Répond-il aux objections ? Signale-t-il même les difficultés ? Il faut bien reconnaître qu’il ne le fait pas, et c’est là un des inconvéniens les plus graves d’une entreprise prématurée qui l’oblige à vider d’autorité des questions encore pendantes ou à se contenter de solutions toutes provisoires. La conclusion générale de M. Pellissier sur cette vieille langue française, au moment où il la voit au XIVe siècle s’altérer, dépérir et disparaître, est l’expression d’un vif regret. En songeant aux œuvres qui ont marqué son règne, au renom dont elle a joui, aux qualités de vigueur, de naïveté, de familiarité virile, que nous y goûtons encore, il est difficile de se défendre d’une impression pareille. Il faut bien croire pourtant que cette première langue française, malgré la régularité incontestable et la perfection qui la faisaient admirer des étrangers, était atteinte d’un certain vice de constitution, puisque, d’une part, dans un immense production littéraire il ne se trouve pas une seule œuvre qui ait atteint une forme durable, et que de l’autre cette langue se trouve épuisée au bout de deux ou trois siècles d’usage tout au plus, et succombe encore à une décadence interne encore plus qu’à des causes étrangères de dissolution.

L’histoire du français moderne depuis le XVIe siècle est la partie qui nous satisfait le moins. Nous convenons volontiers que c’était la plus difficile, car bien que la langue ait considérablement changé depuis Villon et Cornalines, ces changemens se sont opérés par gradations insensibles ; il s’agissait de nuances délicates à distinguer, d’influences très subtiles à noter ; il s’agissait ici d’apprécier l’action exercée sur la langue par tel ou tel écrivain, et M. Pellissier ne porte pas toujours dans ces appréciations un esprit exempt d’idées préconçues et une justesse de vues incontestable. Il passe à côté de plus d’une question grave sans l’apercevoir. Après avoir signalé un commencement de renaissance purement française à la fin du XVe siècle, il déplore l’enthousiasme classique qui arrête cette renaissance ou plutôt qui la fausse en soumettant la langue française au joug d’une imitation pédantesque, et en la vouant à la reproduction d’un idéal emprunté tantôt à l’Italie, tantôt à l’antiquité. Mais cette influence italienne et classique n’est pas particulière à la France ; elle s’exerce également ailleurs, en Angleterre par exemple, et cependant le latin et le grec, cultivés avec tout autant d’ardeur en Angleterre et en Allemagne qu’en France, ne portent aucune atteinte à l’intégrité du caractère germanique ou anglais. Ne serait-ce pas qu’il existait chez nous comme en Italie une prédisposition spéciale à contracter ce goût d’imitation qui a été, selon M. Pellissier, si fatal à