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Le livre de M. Pellissier a le mérite d’être très méthodique ; les divisions en sont simples et tranchées ; les paragraphes, soigneusement numérotés, contiennent chacun l’exposé d’un fait ou l’exposé d’une idée, ce qui devrait exclure les développemens vagues et les affirmations gratuites. Et en effet, tant qu’il s’agit de l’histoire naturelle de la langue, c’est-à-dire des lois qui ont présidé à sa formation et à sa constitution philologique, l’auteur, qui marche appuyé sur des faits certains, procède avec une précision scientifique ; il n’en est pas de même, il faut bien le dire, lorsqu’il expose ses vues propres sur l’histoire de la langue pendant les trois derniers siècles ; peut-être n’en pouvait-il être autrement.

Nous trouvons dans la première partie un essai rapide sur les origines et les premiers développemens de la langue française, c’est-à-dire sur son histoire jusqu’au XIVe siècle. Cette histoire est, comme on sait, une des plus heureuses restaurations de l’érudition contemporaine et rend à la langue française un passé qui a eu ses grandeurs et ses gloires trop longtemps méconnues. La difficulté de cette histoire des origines de notre langue consiste en ce qu’elles ne peuvent guère s’isoler de celles des autres langues congénères, le provençal, l’italien, l’espagnol. Ces langues naissent ensemble d’une même fermentation, et les analogies de leur formation sont telles qu’elles ont suggéré à un esprit ingénieux l’idée d’une langue intermédiaire dont elles seraient toutes dérivées. L’hypothèse de Raynouard est aujourd’hui reconnue fausse ; mais ce qui la justifiait, c’est la singulière simultanéité dans ce travail de formation, la frappante correspondance des métamorphoses de tous les idiomes barbares du midi sous l’action d’un état moral et social très semblable et sous l’empire d’une inspiration commune. M. Pellissier a dû se contenter d’indiquer cette croissance parallèle des langues méridionales, de même qu’il n’a pu qu’énumérer les divers élémens qui sont entrés dans leur formation. Un fait assez curieux, c’est que le caractère et la proportion de ces élémens ne traduisent pas toujours, comme on pourrait le croire, avec exactitude l’état de la société. Ainsi tandis que les conquérans germains établis en Gaule y constituent la société officielle, on voit éclater dans la langue la protestation de l’élément gallo-romain, qui se venge de ses vainqueurs en altérant le sens des mots qu’il est obligé de recevoir d’eux : pour le gallo-romain, la terre du Germain devient une lande (land, terre), sa maison une hutte (hütte, abri), son noble destrier une rosse (ross, coursier) ; le seigneur lui-même (herr) finit par n’être qu’un pauvre hère, et il n’est pas jusqu’à la servante du logis elle-même qui, payant pour son maître, ne voie son nom (Kâtchen, Catherine) devenir l’appellation ordinaire de fille mal vivante ; c’est celle que Béranger donne à sa cantinière. Cette remarque spirituelle est de M. Ampère : M. Pellissier a le tort de la prendre un peu trop à la lettre. On pourrait citer bien des mots de provenance germanique qui ont gardé toute la noblesse de leur signification originelle.

Dans la seconde partie, l’auteur expose la série des transformations