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milieu du peuple qui m’entend, cette femme est mon épouse. Je l’ai connue à Bordeaux, il y a dix-huit mois. Ses malheurs, ses vertus, me la firent chérir. Arrivée à Paris dans des temps d’oppression, elle fut persécutée et jetée dans une prison. Un émissaire du tyran lui fut envoyé et lui dit : Écrivez que vous avez connu Tallien comme un mauvais citoyen, alors on vous donnera la liberté et un passeport pour aller en pays étranger. Elle repoussa ce vil moyen, et ne sortit de prison que le 12 thermidor. Voilà, citoyens, voilà celle qui est mon épouse. »

Pendant les quinze mois qui s’écoulèrent entre le 9 thermidor et la fin de la convention (du 27 juillet 1794 au 26 octobre 1795), Tallien ne fut pas sans exercer, comme nous l’avons dit, une certaine influence. Le 9 septembre 1794, on tira sur lui un coup de pistolet à bout portant, et il fut blessé à l’épaule. Les uns attribuaient cette tentative d’assassinat aux jacobins, les autres aux royalistes. Il était devenu suspect aux deux partis. On l’accusait de flotter indécis entre la terreur blanche et la terreur rouge, et, tandis que les républicains le désignaient comme le complice des compagnies de Jéhu, les royalistes voyaient toujours en lui le proconsul de Bordeaux. Un jour qu’il venait de critiquer à la tribune les actes de Cambon (octobre 1794), le financier de la convention lui fit cette foudroyante réplique : « Ah ! tu m’attaques, tu veux jeter des nuages sur ma probité ! Eh bien ! je vais te prouver que tu es un voleur et un assassin. Tu n’as pas rendu tes comptes de secrétaire de la commune, et j’en ai la preuve au comité des finances ; tu as ordonné une dépense de 1,500,000 francs pour un objet qui te couvrira de honte. Tu n’as pas rendu tes comptes pour ta mission à Bordeaux. Tu resteras à jamais suspect de complicité dans les crimes de septembre, et je vais te prouver par tes propres paroles cette complicité, qui devrait te condamner à jamais au silence. » Tallien balbutia quelques mots et dit qu’il ne répondait pas à ce qui lui était personnel. Il comprenait lui-même combien sa position était fausse, et il avait donné dès le mois de septembre 1795 sa démission de membre du comité de salut public.

Après des hésitations qui convenaient à sa nature violente, mais versatile, il abandonna ses alliés de la plaine et se rallia aux restes de la montagne. Au moment de l’expédition de Quiberon (juillet 1795 ), il disait qu’on devait réveiller la terreur chez les royalistes, si l’on ne voulait point que la contre-révolution fût faite constitutionnellement avant trois mois. Le général Hoche venait de prendre les émigrés les armes à la main. Aucune capitulation n’avait eu lieu, mais des grenadiers avaient dit : « Rendez-vous, on ne vous fera rien, » et Hoche se demandait s’il avait le droit de faire exécuter les prisonniers. Il en référa au comité de salut public. Tallien, jaloux de donner un gage aux révolutionnaires ardens, se fit envoyer à Quiberon en qualité de commissaire, et par ses ordres les sept cent onze émigrés qui s’étaient rendus furent fusillés. On ne voit pas que Mme Tallien ait usé de son influence pour prévenir ces rigueurs ; elle tint au contraire la plus grande place dans les fêtes que donna son mari en revenant de