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déchiré le centre de l’Europe et répandu l’alarme même dans les pays qui échappaient à cette calamité ; voilà une année de choléra et d’inondations, une année où l’on a poussé au nom de l’agriculture les cris de détresse les plus poignans, l’année enfin où les partisans du système protectioniste ont cru devoir tenter la démonstration la plus énergique et la plus véhémente, — et c’est justement cette année-là qui apporte la preuve irréfutable de la solide prospérité, des progrès rapides et constans du travail français, la démonstration sans réplique du prodigieux succès réalisé chez nous par la politique libérale en matière de commerce ! Ainsi, tandis que les intrigues des cabinets troublaient toutes les têtes, préparaient d’affreux massacres, et renversaient quelques-unes des bases de la sécurité européenne, la robuste et saine nation française continuait, à travers ces périls et ces inquiétudes, ses énergiques labeurs ; elle augmentait sa production dans des proportions considérables, elle accroissait ses consommations sans se laisser déconcerter et interrompre, elle allait au bien-être par le travail. Le principe de la liberté du commerce montre là chez nous une grande vertu. Nous serions injustes, si en prenant acte de tels résultats nous ne félicitions point empereur et M. Rouher du succès de la résolution avec laquelle ils ont désavoué les préjugés et les routines du système protectioniste. L’établissement de la liberté du commerce sera certainement l’œuvre la plus utile et la plus durable du régime actuel. L’œuvre intérieure est encore hérissée de difficultés, qu’on laisse subsister gratuitement ; l’œuvre extérieure, s’est heurtée à plus d’une embûche et a produit des déceptions. Sur le point où l’on n’a pas appréhendé de faire quelque chose pour la liberté on a réussi. Il n’a pas été besoin, pour obtenir ce succès fécond, de quelque vigoureux effort de génie. La vérité économique était connue depuis un siècle et resplendissait dans les écrits de Turgot et de Smith ; elle venait d’être appliquée en Angleterre avec un succès définitif par Peel et par Gladstone. Il n’a fallu, pour la réaliser en France, qu’un moment de présence d’esprit et un acte de caractère. Et à quoi s’est réduit ce travail de réforme ? A renverser des obstacles, à détruire des restrictions, à rompre des barrières, à laisser le champ libre aux forces naturelles et à l’initiative de tous. La méthode ne sera ni moins sûre ni moins féconde en grandeurs morales pour la France le jour où l’on aura la bonne inspiration et le courage de l’appliquer à notre vie politique intérieure.

On s’épargnerait beaucoup de difficultés, on éviterait de commettre bien des absurdités de langage et de conduite, si l’on n’avait pas le caprice de méconnaître les lois naturelles et d’y substituer des lois artificielles et imaginaires. Un homme éminent vient d’être dupe à cet égard de la plus surprenante des méprises. Nous voulons parler de M. Dupanloup et du mandement qu’il vient de publier à propos des inondations qui ont affligé son diocèse. L’écrit pastoral du prélat est sur les signes du temps, et l’auteur brouille dans une déclamation incompréhensible les calamités matérielles