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aucun architecte ne sait apprécier ce moyen si plein d’élégance et d’enseignement. Il faudrait une page entière pour énumérer toutes les espèces d’écritures de la paléographie arabe et persane qui jouent ce rôle décoratif, tant la liste en est longue et variée. Tantôt cursive et souple comme l’arabesque fleurie, tantôt au contraire rectangulaire et droite comme l’arabesque géométrique, l’écriture représente souvent des fleurs, des figures, des animaux, et se plie à tous les styles. Il serait facile d’obtenir les mêmes effets avec nos caractères gothiques. L’écriture la plus usitée, la plus libre dans ses allures pittoresques, prend le nom de talik ou écriture suspendue. Les Persans entremêlent avec un goût parfait les lettres et les fleurs, dont ils ont la passion, et le talik plus que tout autre genre de caractères se prête à cette ornementation.

Combien, pour atteindre ces hauteurs de l’art, a-t-il fallu d’élan et d’observations profondes, de science sérieuse guidée par une imagination puissante ! Ces courbes, dont l’application de l’algèbre à la géométrie a pu seule régler le tracé, révèlent un instinct supérieur du beau. On est étonné de voir avec quelle souplesse ces artistes ont manié l’architecture, sachant faire jouir l’œil et l’esprit aussi sûrement qu’un symphoniste sait plaire aux oreilles. Et qu’on ne croie pas que ce soient les broderies, les émaux et les dorures qui, cachant le corps, en dissimulent les défauts. Personne n’a mieux compris que l’architecte persan les relations pittoresques d’une ligne par rapport à une autre, — variété, contraste, proportion, — et si simple que soit une maison, ces règles s’y retrouvent toujours. D’ailleurs avec la brique, ce docile instrument de construction auquel on doit la voûte et l’architecture en hauteur, ils savent sans autre ornement, en la plaçant de biais, de profil, de face ou de pointe, en creux ou en saillie, produire les combinaisons d’appareillage les plus pittoresques.

A aucune époque, les grands principes de statique architecturale n’ont atteint un essor semblable. Cet art est complet : sentiment de grandeur dans les proportions, beauté de la forme et de la couleur dans le décor, ensemble harmonique, où les plus petits détails viennent jouer comme les instrumens d’un orchestre et concourir à l’effet général, rien ne lui manque. Le sentiment de l’accord entre toutes les parties de l’édifice pour produire un ensemble harmonieux est toujours respecté. Pythagore voulait que la musique fit partie de l’éducation des architectes ; c’était, selon lui, une des formules secrètes de l’analogie. On songe malgré soi à cette remarque du philosophe grec en regardant ces belles mosquées de Véramin, de Sultanieh ou d’Ispahan. Quelle mesure dans les divisions et les subdivisions ! comme le sentiment de la répétition, de l’alternance et de