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pas à cet égard de mémorables exemples de conciliation? La reine des Amazones, Zahara, s’éprend de Lisvart, fils d’Esplandian. Lisvart, marié à la princesse de Trébizonde, Onolorie, aime tendrement sa femme. Cependant Zahara ne se décourage point. « Si Lisvart, se dit-elle, a l’esprit aussi bon comme le cœur, je pourrai tant gagner sur lui avec le temps qu’Onolorie et moi nous nous le partagerons, demeurant en elle pour sa femme et moy pour son amye. »

Par un curieux contraste, Diane de Poitiers, avec des apparences sentimentales et romanesques, est une femme essentiellement pratique et positive. Elle suit exactement le conseil du Roman de la rose.

Folle est qui son ami ne plume
Jusqu’à la dernière plume,
Car qui mieux plumer le saura,
C’est celle qui meilleur aura.

Pour plaire à cette femme funeste, le roi jette les trésors de son royaume dans un gouffre qui ressemble au tonneau des Danaïdes. On ne peut se faire une idée de ces dilapidations effroyables. Les lettres publiées par M. Guiffrey représentent Diane sous les traits d’une courtisane cupide qui regarde la France comme une proie. Son style est aride comme son cœur. On n’y trouve ni élégance, ni agrément. Ce sont des lettres d’affaires, courtes, précises, allant droit au but. Elle n’admet pas le moindre retard pour le paiement de ses créances, elle connaît parfaitement ses comptes, elle discute ses intérêts avec une vigueur de raisonnement qui ferait honneur au procureur le plus tenace. Dans une lettre écrite à Fontainebleau le 28 août 1556, elle brocante avec son cousin, M. de Charlus, des captifs espagnols, dont le roi lui a fait don, et qu’elle appelle en conséquence ses esclaves. Sa grande préoccupation, c’est de les vendre le plus cher possible. « Je vous prye, écrit-elle à M. de Charlus, y regarder pour le myeulx et y user de diligence, car on m’a dict que le Grand-Seigneur[1] envoyé ung homme par deçà pour en faire quelques remontrances au roy, et je voudrois bien que cela fust vuidé avant que il fust arrivé, et l’argent que vous en recepvrés, donnés ordre, s’il est possible, de le faire venir par la bancque, affin que vous n’ayés tant de payne à l’aporter. »

Ainsi Diane trouvait moyen de profiter de tout, même de la captivité des prisonniers. Jamais rapacité n’avait été plus ingénieuse. Cette femme, dévorée par la soif du lucre, occupait la cour de France comme une citadelle dont elle s’était assuré toutes les avenues. Il y a quelque chose qui étonne dans la puissance de ce sceptre de la main gauche. Les premiers temps de la faveur de Diane s’expliquent facilement, puisqu’elle était encore dans

  1. Le Grand-Seigneur était alors le sultan Soliman II, qui, avec ses navires, secondait la France contre l’Espagne, et qui, tout musulman qu’il était, ne trouvait pas sans doute de son goût la traite que Diane exerçait sur des captifs chrétiens.