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s’enrichir rapidement sans grand travail, l’évangile financier nouveau du bénéfice illimité et de la perte limitée devait être accueilli avec une rare faveur. Une expérience rudement acquise pourra seule conserver à cette forme d’association les avantages que nous sommes loin de contester d’une manière absolue, mais qui ont été beaucoup surfaits. Au début, quand tout poussait vers l’Eldorado des nouvelles compagnies, lorsque les avertissemens sévères des pertes subies, des fautes commises et des déceptions encourues manquaient encore, il était tout simple qu’un mouvement considérable se produisît de ce côté. Quatre années se sont à peine écoulées depuis que le législateur a fait tomber les entraves et ouvert largement le champ des sociétés à responsabilité limitée ; on ne saurait s’étonner que bien des spéculateurs se soient précipités dans la lice avec une aveugle ardeur, et que plus d’une fois l’impéritie et les entraînemens du gain se soient heurtés contre la fraude. On a vu éclore par centaines des entreprises de toute espèce, parmi lesquelles il en est de bonnes et d’utiles, mais beaucoup aussi de véreuses et d’imprudentes. Une partie du capital disponible s’est engouffrée dans cet abîme, et le mal s’est produit encore sous un autre aspect. Les compagnies nouvelles, surtout les compagnies de finance, épuisaient tous les artifices pour attirer les réserves actives du pays, en les alléchant par l’appât d’un intérêt élevé. Quand on veut et quand on espère gagner beaucoup et distribuer de larges dividendes, on ne marchande pas les conditions du crédit qu’on essaie d’obtenir, et une concurrence ardente élève le taux de l’intérêt. Telle a été la conséquence inévitable des sociétés créées en si grand nombre : d’un côté, elles ont absorbé une partie des ressources disponibles en diminuant l’offre du capital sur le marché et en l’engageant dans des opérations aléatoires ; d’autre part, elles ont poussé à l’élévation du taux de l’intérêt. Là se rencontre une des principales causes de la crise.

Pour en mesurer l’influence, il faut remonter assez haut dans le passé. Les banques privées, concentrées entre les mains d’un petit nombre d’associés, n’ont jamais en Angleterre payé d’intérêt sur les dépôts ni sur les comptes-courans. Quand une première atteinte a été portée au monopole de la Banque d’Angleterre, aujourd’hui entièrement détruit (et, disons-le en passant, c’est l’act de 1844, cette loi qu’on accuse de favoriser le privilège, qui a inauguré le régime de la liberté pour le véritable office des banques, distinct de l’émission des billets), les compagnies par actions (joint-stock banks) se sont appliquées, à l’exemple de l’Ecosse, à utiliser les plus minces réserves en offrant un intérêt modique à ceux qui leur apportaient leurs fonds. Elles ont varié les procédés, mais en obéissant aux rè-