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trine de M. Hamilton, parlant encore avec autorité dans les écoles. On n’attend pas de nous une exposition des idées de ces deux philosophes, même circonscrite dans le champ de leur combat et, si je puis dire, de leur duel. D’ailleurs cette étude, déjà faite en partie dans la Revue, serait à la fois surabondante et prématurée. M. Mill vient de donner au public un examen de la philosophie de son vénérable adversaire: Examination of sir William Hamilton’s philosophy ; c’est une de ses œuvres les plus remarquables; il trouvera pourtant à qui parler. Ce n’est pas sa faute si le duel se continue entre un vivant et un mort; mais le mort a des amis, des tenans qui répondront, qui répondent déjà. Outre le livre de M. Masson, qui n’est, il est vrai, que l’œuvre d’un professeur de littérature, j’ai sous les yeux le savant ouvrage de M. James Mac-Cosh, professeur à Belfast, Examination of M. J. S. Mill’s philosophy, déjà connu par des écrits philosophiques. D’autres encore descendront dans la lice, et M. Masson semble les appeler à la rescousse. Ajax est-il vainqueur? Il croit avoir renversé Hector; mais les meilleurs des Troyens couvrent leur maître de leur bouclier[1]. Nous n’avons garde de nous risquer dans la mêlée des syllogismes avec lesquels nos voisins ont l’habitude de livrer ces grands combats; ce qui nous intéresse particulièrement, c’est le geste, l’attitude, le caractère extérieur de ces doctrines opposées.

Nous trouvons avec plaisir dans M. Masson l’esquisse de l’Aristote écossais, du professeur qui regardait la philosophie comme une gymnastique de l’âme, et qui a restauré en Angleterre le culte de la difficulté. À cette nation utilitaire et positive il a enseigné à travailler, à prendre de la peine, sans autre prix que les idéales récompenses du lointain avenir. On dit plaisamment qu’il a été le plus ardent promoteur de ce qui n’est pas utile, mais c’est lui qui a lancé dans ce pays les hautes questions de métaphysique auxquelles la nation était devenue entièrement étrangère. Il donne la main droite à Kant, la main gauche à Reid, et avec cela il tâche de s’éloigner de M. Cousin. Il soutient que nos connaissances sont toutes relatives, et cependant il prétend que nous sommes en communication directe avec les réalités naturelles. Ces contradictions jettent les hamiltoniens dans de grands embarras; mais Hamilton n’en est pas moins le maître du transcendantalisme d’Angleterre, qui est à peu près notre spiritualisme : il ne se discute pas en quelque sorte de thèse métaphysique, dans les universités, qui ne soit puisée dans Hamilton.

Les profanes comme nous ne lisent pas avec moins de profit les pages de M. Masson sur les habitudes d’esprit de M. Stuart Mill. Si

  1. Homère, Iliade, ch XIV, , vers 424 à 426.