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tournés en ridicule, bafoués par les critiques du commencement de ce siècle, ne sont plus guère nommés qu’avec respect, souvent avec admiration. En un mot, Jeffrey, Macaulay et la plupart des hommes de leur temps prenaient du XVIIIe siècle la politique et rejetaient la littérature; Matthew Arnold, David Masson, tout ce qui ne suit pas la foule prend du XVIIIe siècle la littérature et rejette la politique. C’est là un résultat curieux; il constate une évolution remarquable des idées littéraires dans la Grande-Bretagne. Je n’ai pas trouvé l’occasion de m’y arrêter dans l’étude sur M. Matthew Arnold; M. David Masson me la présente à plusieurs reprises, je la saisis. Elle me permettra d’éclaircir quelques points demeurés peut-être obscurs pour des lecteurs français, même après les beaux travaux de M. de Rémusat.

D’abord quelle est la valeur de cette distinction de whigs et de tories par rapport à la littérature? Avant la révolution de 1688, la littérature était divisée, comme il arrive toujours, par les intérêts, par le hasard des faveurs et des pensions; mais elle jouissait de son libre arbitre. Après la révolution, tout ce qui comptait dans la société anglaise, tout ce qui était riche et puissant se partagea en deux grandes factions à peu près égales, composées chacune de quelques centaines de maisons qui entraînaient avec elles tout le royaume. La littérature fut contrainte de choisir entre ces deux pôles du monde politique entre lesquels l’Angleterre allait accomplir ses évolutions durant plus de cent cinquante ans. Du côté des whigs, elle rencontrait les hommes qui avaient fait leurs preuves contre l’ancienne royauté, contre le catholicisme et tout ce qui le rappelait de près ou de loin. Du côté des tories, elle trouvait tous ceux qui regrettaient l’ancien régime, la royauté prépondérante et inviolable, l’unité de l’église anglicane et la proscription d’un calvinisme rebelle et vulgaire. Mais, si le nombre était égal, la partie ne l’était pas; les whigs semblaient investis d’une sorte de droit divin pour représenter la révolution; ils conservèrent le pouvoir soixante-dix ans presque sans interruption. S’il ne s’était agi pour la littérature que de s’installer le plus commodément possible dans l’état présent des choses, elle pouvait se tourner du côté du pouvoir, c’est-à-dire du côté des places et de l’argent; elle n’avait qu’à se déclarer whig et à se livrer à la comédie des déclamations libérales et républicaines à l’abri d’une monarchie, ce qui est en tout temps aussi avantageux que facile. Des précédens littéraires républicains, il n’en manquait pas; Milton tout seul, comme poète et comme prosateur, avec autant de danger et de pauvreté que de gloire, avait ouvert la voie aux républicains bien rentes du lendemain des révolutions. Il y eut en effet quelques beaux esprits et quelques rimeurs ingénieux