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LE
DERNIER AMOUR
À MON AMI GUSTAVE FLAUBERT.

PREMIÈRE PARTIE


Nous étions réunis à la campagne un soir d’hiver. Le dîner, gai d’abord, comme l’est toujours un repas qui réunit de vrais amis, s’attrista vers la fin au récit de l’un de nous, médecin, qui avait eu à constater une mort violente et dramatique dans la matinée. Un fermier des environs, que nous connaissions tous pour un homme honnête et sensé, avait tué sa femme dans un accès de jalousie trop fondée. Après les questions précipitées que fait toujours naître un événement tragique, après les explications et les commentaires, vinrent naturellement les réflexions sur la nature du fait, et je fus surpris de voir comme il était diversement apprécié par des esprits que semblaient relier entre eux, à beaucoup d’autres égards, les mêmes idées, les mêmes sentimens, les mêmes principes.

L’un disait que le meurtrier avait agi avec toute la lucidité de son jugement, puisqu’il avait eu la conscience de son droit ; l’autre affirmait qu’en se faisant justice à lui-même un homme de mœurs douces avait dû être sous l’empire d’une démence passagère. Un autre haussait les épaules, regardant comme une lâcheté de tuer une femme, si coupable qu’elle fût ; un autre encore regardait comme une lâcheté de la laisser vivre après une trahison flagrante.