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vie publique; le sacerdoce lui-même n’était qu’une fonction civile, les dieux une propriété de l’état.

Quelle autre idée se firent de la société les descendans de ces Germains qui ne pouvaient souffrir que leurs habitations fussent attenantes les unes aux autres, et dont chacun laissait autour de sa maison un espace clos et fermé! A l’exemple de leurs pères, qui ne se plaisaient que dans des demeures isolées, les barons féodaux sentirent le besoin de respirer à l’aise et pour ainsi dire de ménager de l’espace autour de leur vie. Ils craignaient la gêne plus que la mort; tout ce qui menaçait de les mettre à l’étroit, toute entreprise sur leurs immunités faisait pétiller leur sang dans leurs veines; au seul nom de fisc et de légistes, leur épée frissonnait dans le fourreau. Les premiers, ils s’avisèrent que l’homme n’est pas fait pour la société, mais que la société est faite pour l’homme, et que, dans tout ce qui ne concerne pas les obligations qu’il a souscrites, il ne relève que de son for intérieur. En ceci, du moins, M. de Lussy a raison : au moyen âge, pour la première fois, le pacte social fut considéré comme un contrat par lequel l’individu aliène une part de ses franchises naturelles, à la condition qu’on lui garantira le reste; les clauses de son engagement sont limitées, expresses et reposent toujours sur l’utilité réciproque; pour tout ce qu’il se réserve, son droit de possession et de jouissance est illimité. Qu’après cela il se donne à ce qu’il aime; en disposant de lui-même, il prouvera qu’il s’appartenait. Aussi n’est-ce pas de son maître Aristote, mais de l’esprit de son siècle que s’inspira l’ange de l’école, quand il reconnut à l’homme des biens propres et comme un domaine sacré qu’il ne peut ni aliéner, ni engager; tout ce qui en lui relève soit de la nature, soit de la conscience, soit de l’esprit, n’appartient qu’à lui; que si la société lui prétend faire des conditions léonines, elle le délie de ses engagemens et lui confère le droit à l’insurrection. Ainsi l’idée moderne de la liberté est née dans les manoirs de ces tyranneaux qui ne la voulaient que pour eux; elle a grandi dans les luttes intestines d’une société partagée entre des puissances rivales, royauté, noblesse, parlemens, église, bourgeoisie, qui, jalouses de leurs prérogatives, se tenaient réciproquement en échec et hasardaient tout plutôt que de se rien céder. Rome et Athènes ont brillé d’une immortelle grandeur; mais, je te le dis, il n’est pas un de nous qui n’étouffât au forum ou dans l’agora. Le moyen âge a mis au large la personne humaine; il a affranchi, pour parler avec Montaigne, les coudées de la liberté, et cette indépendance à laquelle prétendaient les privilégiés d’alors, les petites gens d’aujourd’hui ne s’en peuvent passer.

Et regarde, je te prie, aux conséquences. Dans l’antiquité, la vie