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satisfaction de certaines vues partielles, on permet d’affirmer sans nier.

On ne peut servir deux maîtres à la fois, le relatif et l’absolu. C’est l’absolu que vous servez quand vous donnez aux choses un antécédent universel; mais alors le philosopher positif, que rien ne peut faire sortir du relatif, vous abandonne et ne vous considère plus comme siens. Faire résoudre la question des causes premières dans un mode de philosopher qui partout en a constaté expérimentalement l’insolution, introduire l’absolu dans un mode de philosopher qui ne comporte que le relatif, concevoir une connaissance là où ce mode de philosopher met rigoureusement l’inconnu, c’est non pas concilier, mais juxtaposer les incompatibilités.

Enfin je rappelle ici la distinction que j’ai faite ci-dessus entre l’origine psychologique et l’origine expérimentale du principe de la relativité. Psychologiquement, la relativité de la connaissance humaine ne contredit pas l’admission d’une certaine théologie, sans quoi M. Mill, partisan déclaré de cette relativité, n’aurait en aucune façon parlé d’antécédent universel; mais expérimentalement elle ne laisse la voie ouverte à rien de pareil. Cette remarque, qui porte à la fois sur le présent litige et sur le rapport entre la psychologie et la philosophie positive, montre une fois de plus le désaccord entre les deux conceptions du monde et clôt la discussion.


V.

M. Mill pense que M. Comte n’a pas fondé ce qu’il nomme la philosophie positive, qu’il n’en a créé que des parties, et que l’œuvre, quelle qu’elle soit, reste toujours à mener au terme. Moi, au contraire, je pense que la philosophie positive est créée dans ses élémens essentiels, que l’avenir développera ces élémens sans les dénaturer, et qu’ainsi elle est, dans l’ordre général, ce que chacune des sciences positives est dans l’ordre particulier, c’est-à-dire un point de départ et une voie tracée.

Trois objections capitales (je ne parle point des objections de détail, qui laissent l’édifice intact et n’exigent que des réparations) sont faites par M. Mill : la sociologie n’est pas constituée; la théorie des facultés intellectuelles et morale n’est pas donnée; la doctrine de la preuve n’est pas établie.

Ma réponse est, quant à la sociologie, que M. Mill n’a pas suffisamment pris en considération l’inégalité de valeur entre la subsistance des sociétés ou état statique et le développement des sociétés ou état dynamique; que le premier, ramené à son origine, ce qui est scientifiquement indispensable, ne diffère pas notable-