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cette cause a créé et gouverne le monde ; pourvu que vous admettiez en même temps qu’elle ne se manifeste jamais dans les choses, vous ne sortez pas du mode positif de philosopher. Mais si cette cause ne se manifeste pas dans les choses, si les lois seules s’y manifestent, elle est soustraite à toute aperception humaine, et il implique que l’on voie ce qui ne se montre jamais, que l’on connaisse ce qui ne se fait jamais connaître. Bien plus, c’est aux marques de dessein qu’on se réfère pour arriver jusqu’à la cause première; mais les marques de dessein perpétuellement renouvelées dans la structure des mondes, dans le mouvement des astres, dans l’appropriation de notre planète, dans l’organisation des êtres vivans, de telles marques de dessein, dis-je, que serait-ce autre chose que des actes d’intervention incessante de la cause première? Par conséquent, si on les admet, on rompt avec le principe de la philosophie positive, qui repousse les interventions et n’accepte que les lois. Ainsi l’admission d’un antécédent universel montre son incompatibilité avec le mode positif de philosopher, tantôt en lui faisant dire qu’il connaît ce qu’il ne connaît pas, tantôt en lui imposant au milieu des lois la doctrine de la finalité. La valeur des marques de dessein n’est en effet pas autre chose que la doctrine de la finalité. Cette doctrine de la finalité, chaque science particulière l’a convertie en une doctrine positive connue sous le nom de principe des conditions d’existence, principe qui bannit toutes les interventions, et qui, rencontré dans chaque domaine particulier de la science, est devenu un principe général de la philosophie positive. Il est la dernière borne à laquelle la connaissance puisse atteindre; si on va au-delà, on quitte à la fois la science et la philosophie.

Il ne faut pas considérer le philosopher positif comme si, traitant uniquement des causes secondes, il laissait libre de penser ce qu’on veut des causes premières. Non, il ne laisse là-dessus aucune liberté; sa détermination est précise, catégorique, et le sépare radicalement des philosophies théologique et métaphysique : il déclare les causes premières inconnues. Les déclarer inconnues, ce n’est ni les affirmer ni les nier, et c’est, quoi qu’en dise M. Mill, laisser la question ouverte dans la seule mesure qu’elle comporte. Remarquons-le bien néanmoins, l’absence d’affirmation et l’absence de négation sont indivisibles, et l’on ne peut arbitrairement répudier l’absence d’affirmation pour s’attacher à l’absence de négation. Il ne serait pas impossible de retourner les argumens qu’avec raison M. Mill a employés contre M. Comte, accommodant à la satis- faction de nos inclinations mentales la rigueur de la preuve et l’objectivité du fait. La rigueur de la preuve et l’objectivité veulent ici que l’on ne nie pas, que l’on n’affirme pas, et malgré cela, par pure