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« Il n’existe point de traité de sociologie. Les trois volumes qui terminent le Système de philosophie positive contiennent non une sociologie, mais le dessin du développement de l’histoire. J’en donnerai très brièvement une idée claire en les comparant en biologie à un traité sur l’évolution de l’individu d’âge en âge. La Politique positive est, dans l’intention de l’auteur, un livre d’application où il s’efforce de montrer comment il faut passer des principes philosophiques et sociaux à l’organisation des sociétés. Personne, depuis, ne s’est essayé à un aussi grand sujet, et, pour continuer ma comparaison avec la biologie, il n’existe en sociologie aucun traité qui soit l’équivalent d’une physiologie : faute de termes qui ne sont pas encore créés, je suis obligé de prendre sociologie en deux sens différens. Dans l’un, il désigne la science totale et répond à biologie ; dans l’autre, il désigne une portion de science et veut dire physiologie sociologique. »


Entre les critiques diverses auxquelles M. Mill soumet l’œuvre sociologique de M. Comte, et qui, soit que j’y donne, soit que j’y refuse mon acquiescement, m’ont fait réfléchir et étudier, je choisis, pour y revenir, ce sujet de l’économie politique. On peut déjà, par le rang que je lui ai assigné dans l’ensemble de la sociologie, préjuger le sens et le caractère de mon explication ; mais comme M. Stuart Mill est d’opinion que l’économie politique touche à la constitution même de la sociologie, et comme la faveur dont elle jouit suggérerait peut-être l’idée que je crains d’aborder au côté que je sens faible et ouvert à une dangereuse trouée, je ne veux pas me contenter d’une réponse implicite. L’on sait que M. Comte non-seulement n’a donné aucune importance à l’économie politique, mais encore, passant à une condamnation sévère, l’a rejetée de l’ordre des connaissances positives. M. Mill, célèbre dans l’économie politique non moins que dans la logique, a vivement attaqué M. Comte pour avoir ainsi parlé. Moi-même, bien que sans autorité en ces matières, j’ai dans un livre qui a déjà trois ans de date[1], signalé mon dissentiment avec M. Comte sur l’économie politique, la comparant, afin d’en donner une idée, à ce qu’est la vie végétative dans l’animal ; mais je n’allai pas plus loin, tandis que M. Mill déclare que là se montre « le côté faible de la philosophie de M. Comte, » qui rejette l’unique essai systématique fait par une suite de penseurs pour constituer une science non pas sans doute des phénomènes sociaux en général, mais d’une grande classe de ces phénomènes.

Ici j’abandonne M. Mill et je repasse du côté de M. Comte. N’oublions pas qu’il s’agit de la constitution de la sociologie. À quoi pouvait y servir cette systématisation partielle ? L’économie politique n’est qu’une partie de l’état statique ; l’état statique lui-même

  1. Auguste Comte et la Philosophie positive, p. 674.