Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/838

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
II.

Ce débat, il importe d’en exposer en un seul mot tout d’abord le point, afin de mettre entre les mains du lecteur le fil qui doit le conduire. M. Comte a voulu faire une philosophie, on le sait; il l’a nommée positive, on le sait encore. M. Mill nie que l’œuvre proposée soit accomplie, pour deux raisons : l’une que la sociologie y est manquée, l’autre que la psychologie en est absente. Contre M. Mill, je maintiens d’une part que la sociologie y est constituée, ce qui suffit au but philosophique de M. Comte, d’autre part que la psychologie en est absente sans dommage pour l’œuvre, et que le rapport entre la philosophie positive et la psychologie est autre que ne le suppose la critique de M. Mill. Ce sont pour moi les questions capitales dans le travail de M. Mill. Les autres, tout intéressantes qu’elles sont, me laissent tranquille; car, soit que je les résolve avec M. Mill ou contre lui, je n’ai rien à changer aux bases de ma croyance philosophique.

Maintenant qu’est la philosophie positive? Si on n’en précise pas l’idée, la discussion ne peut procéder. « M. Comte est le premier, dit M. Mill, qui ait tenté la complète systématisation du point de vue positiviste et l’extension scientifique de ce point de vue à tous les objets de la connaissance humaine. » Cette systématisation est en effet le propre de la philosophie positive; mais cela ne suffit pas à ce que je veux, et il faut une définition qui montre clairement le fond, la nature, le but de la philosophie positive. Je reprends donc ici celle que j’en donne depuis longtemps : la philosophie positive est la conception du monde telle qu’elle résulte de l’ensemble systématisé des sciences positives. — Cette définition, qui a la propriété de se coordonner avec les philosophies théologique et métaphysique, a surtout l’éminente propriété de partager immédiatement le monde en deux parts, l’une connue, l’autre inconnue, ce qui est notre situation réelle.

Je reviens sur ma définition et j’y ajoute un développement qui y est impliqué : conception du monde par coordination des faits généraux ou vérités fondamentales qui y conduisent, et je l’étends, comme cela doit pouvoir se faire, aux philosophies particulières des sciences, disant : La philosophie d’une science est la conception de cette science par coordination des faits généraux ou vérités fondamentales qui y appartiennent.

Autre est la définition que donne M. Mill : « Nous admettons que la philosophie est, suivant la signification attachée par les anciens à ce mot, la connaissance scientifique de l’homme en tant qu’être