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REVUE DES DEUX MONDES.

— Elle n’est pas pour moi.

— N’importe, il faut savoir si elle s’est donné la mort volontairement.

— Il n’y a pas à en douter, repris-je en lui présentant le verre ; mais ne pensez pas à cela maintenant. Agissez, agissez vite ! la mort n’est peut-être qu’apparente.

Tout fut inutile, Félicie était morte. La mort a cela de grand et de sacré qu’elle raie comme d’un trait de plume les comptes les plus impossibles à régler durant la vie ; on sent tellement le souffle de Dieu passer en soi en voyant s’accomplir ce mystère, que tout souvenir terrestre, tout ressentiment fondé s’efface dans le recueillement du pardon. La mort rend tout à coup respectable l’être dégagé des étreintes de la souffrance ; elle met la pâleur de l’ascétisme et la tranquillité du juste sur les fronts dévastés par le vice et dans les traits naguère contractés par la fureur. Doublement coupable dans la vie et dans la mort, puisqu’elle finissait par le suicide, Félicie, couchée dans ses draps blancs et couverte de fleurs, était redevenue si belle et si pure que je baisai respectueusement son front et ses mains glacées sans me rappeler le mal qu’elle m’avait fait et sans me préoccuper de celui qu’elle voulait me faire en quittant volontairement la vie.

Sans doute il y avait là un dernier, un sanglant reproche qu’elle croyait devoir m’atteindre. Je ne voulus pas le savoir, je ne voulus pas y songer avant d’avoir rendu à son corps les honneurs de la sépulture. Je veillai près du lit funèbre, j’imposai silence aux cris, aux questions, à toutes les manifestations bruyantes. Morgani me marqua beaucoup d’affection et ne me quitta presque pas. Il était inquiet de ma résignation et craignait une réaction violente. Il craignait aussi autre chose ; quand nous revînmes du cimetière, il me parla ainsi : — Je n’ai pu cacher aux autorités légales la cause de la mort. Non-seulement vous, mais encore toutes les personnes qui entouraient et servaient cette pauvre femme sont tellement à l’abri du soupçon que l’on a consenti à me laisser attribuer cette mort à une attaque d’apoplexie foudroyante, dont au reste l’aspect du cadavre offrait les symptômes frappans. Je m’engage sur l’honneur à ne dévoiler le secret du suicide que dans le cas où la justice croirait devoir faire des recherches ultérieures. Cela n’arrivera pas, si quelque personne malintentionnée ne s’en mêle pas ; mais je crois Tonino capable de tout. Il faut que vous lisiez la lettre que votre femme lui a écrite au moment de se tuer. Je l’exige pour vous, pour moi, pour la vérité. Dans ce dernier écrit, elle doit avoir exprimé sa résolution de mourir ; c’est une preuve de votre innocence dont vous ne devez pas vous dessaisir pour la mettre dans les mains