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LE DERNIER AMOUR.

en toi-même. La nature qui ne s’est pas laissé fausser par le mal est une sainteté et une logique. Elle répugne au sophisme, elle rejette les alimens empoisonnés, quant même ils sont cachés sous l’huile et le miel. Tu t’es trompé par excès de bon vouloir. Tu as voulu être plus doux que Dieu même, qui, selon toi, ne châtie point. £n cela, tu n’as point compris la profondeur et la beauté des lois qu’il a instituées et qu’il ne transgresse, jamais. Ces lois attachent la punition immédiate au mal que l’homme se fait à lui-même. Tu t’es déchiré la poitrine, tu saignes. Tu as voulu boire la sainte volupté dans un vase souillé, la douleur s’est emparée de toi. Tu as cru que la pitié pouvait ramener l’amour, la haine s’est déclarée. Ouvre les yeux et humilie-toi, disciple trop naïf et trop ambitieux de l’idéal ! L’idéal n’est une vérité qu’à la condition de rester dans la voie de la nature. L’amour dans l’homme est un idéal aussi. Il est l’aspiration à l’assimilation de deux êtres différens dans un acte de foi commune. Réduit au plaisir des sens, il n’est plus l’amour. Il est l’appétit qui engendre l’oubli, la lassitude et même l’aversion s’il y a abus, car la nature est sage et logique dans ses fonctions matérielles aussi bien que dans ses fonctions intellectuelles. Ne jouez pas avec l’amour est un grand mot dont le sens va bien au-delà de ce qu’il semble indiquer. Il ne menace pas seulement de brûler celui qui en approche sans défiance, il condamne à être dévoré celui qui s’y jette sans savoir qu’il faut la foi pour affronter le feu sacré. Appétit bestial, il énerve ; enthousiasme aveugle, il égare ; amitié sans discernement, il écœure. Il veut être à la fois plaisir, vénération et tendresse pour vivifier et le tremper les âmes et les corps ; mais il ne renaît pas de ses cendres. Qui l’a laissé éteindre ne peut pas le ranimer. Si tu lisais dans le cœur de ta femme adultère, tu verrais qu’elle n’aime plus ni le mari, ni l’amant, et que ses efforts pour s’aimer elle-même seront impuissans désormais. Elle ne peut plus connaître l’amour. Il ne se présentera plus à elle qu’à travers la souffrance du désir ou l’effroi du châtiment. Ses yeux, en plongeant dans les tiens, y cherchent en vain la volupté ; ils y liront toujours la sentence de mort, le mépris qu’elle mérite et que tu ne peux pas lui épargner. Cette femme est punie par toi, malgré toi, c’est la loi, et tu es forcé de la subir aussi bien quelle. Tu avais deviné cela dès le premier jour en décrétant que tu ne la punirais pas ; tu sentais bien qu’elle était déjà punie. Tu as fait ton devoir, pourquoi veux-tu le dépasser, l’annuler par conséquent ? Pourquoi veux-tu transformer le pardon en récompense, et vaincre en toi le dégoût, cette chose vraie et forte qui vient, comme le désir légitime, des hautes réglons de l’équité naturelle ? Va, le détachement n’est pas une simple lassitude physique qu’un peu de volonté sur-