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mour, ii esi plus fort que tout, la conscience n’est rien devant lui ! Elle avait vécu de ce blasphème et elle allait en vivre encore, puisqu’elle trahissait le souvenir de l’amant sans aucun trouble, pour demandera l’époux l’enivrement de même nature, sauf à comparer après quel vin était le plus capiteux et provoquait le mieux l’athéisme du cœur, dernière ressource d’une mauvaise conscience et d’un instinct perverti.

J’eus beau m’efforcer de l’excuser, je sentis qu’elle me devenait, non pas odieuse, car la haine est un amour encore, mais étrangère sous un certain aspect. Cette femme n’était plus mienne par la chair. Sa beauté ne me parlait plus. J’eusse eu le droit de lui chercher un autre époux, que je l’eusse cherché avec sollicitude et bonté, comme on le cherche pour une parente, pour une fille, sans concevoir une jalousie possible. L’amour qu’elle venait d’obtenir de moi me parut un égarement bestial dont je fus honteux, irrité contre moi-même. Si j’eusse été dominé par des instincts violens et impétueux, il devenait évident pour moi que je l’eusse étranglée après la crise.

C’était donc à un paroxysme de férocité, c’était donc au meurtre que me conduisait la vaine tentation du pardon complet ! Le meurtre révoltait tout mon être, à ce point que je me sentis défaillir ; mais tout aussitôt une réaction terrible me fit tourner ma rage contre moi-même. Je déchirai ma poitrine avec mes ongles, j’avais besoin de haïr et de torturer quelqu’un, je me détestais et je me prenais moi-même pour victime. Quand je me vis couvert de mon propre sang, j’éprouvai un soulagement étrange, comme celui d’une bête de proie satisfaite et repue. Ce fut une grande révélation pour moi. L’homme le plus doux et le plus civilisé peut avoir des momens de fureur féline où il ne s’appartient plus, et où il est capable d’agir sans conscience de ses actions. En voyant le mal physique que je venais de me faire sans le sentir, j’eus peur de moi comme d’un ennemi plus fort que moi. J’étais donc capable, à un moment donné, de subir cette démence et de l’exercer sur un autre ? Et sur quel autre tomberait-elle, si ce n’est sur la malheureuse qui provoquait les appétits du tigre ?

Je songeai à fuir ; c’était le plus lâche des palliatifs. Je m’interrogeai sévèrement. Ma loyauté intérieure me répondit : Aucun danger, aucune colère, aucune vengeance possible pour celui qui n’impose pas silence à une conscience éclairée et timorée comme la tienne ; mais malheur à toi, si tu veux boire l’eau de feu qui a enivré ta femme ! Ce breuvage-là ne peut pas s’assimiler à un tempérament sain et fort comme le tien. Les gens bien trempés ne supportent pas les excitations factices. Tu as voulu vaincre la nature