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Tout récemment un jeune savant belge, M. Félix Plateau, fils du célèbre physicien, a entrepris de mesurer à l’aide d’expériences fort délicates l’énergie musculaire des insectes, comme Régnier, M. Quetelet et d’autres ont mesuré celle de l’homme et celle du cheval. Les essais sur l’homme et le cheval ont été faits à l’aide de dynamomètres : ce sont des appareils où la tension d’un ressort est contre-balancée par un effort exercé pendant un temps très court. Les têtes de Turc sur lesquelles on vous invite à assener un coup de poing dans les foires appartiennent à cette catégorie d’instrumens. On a trouvé ainsi que l’effort musculaire des deux mains d’un homme est d’environ 55 kilogrammes, et de 33 kilogrammes seulement pour une femme. Un cheval exerce en tirant un effort de quelques instans qui équivaut à 300 ou même à 400 kilogrammes[1]. Or l’homme pèse en moyenne 65, le cheval 600 kilogrammes ; le premier exerce donc un effort de traction égal aux cinq sixièmes, le second un effort égal seulement à la moitié ou aux deux tiers de son propre poids. Tout cela est bien peu de chose en comparaison de ce que M. Plateau a trouvé pour les insectes : le hanneton, par exemple, entraîne quatorze fois son poids, la trichie à bandes plus de quarante fois ce qu’elle pèse ; mais que signifient ces chiffres ? Ce sont les limites du poids que chaque individu a pu encore ébranler par une traction instantanée. Elles varient nécessairement beaucoup d’une expérience à l’autre, parce que le moment où l’animal refuse de tirer dépend toujours un peu de son caprice, et parce qu’il est impossible dans ces sortes d’expériences d’apprécier une donnée importante qui les compléterait. On admet en effet que l’effort suprême qu’on mesure est appliqué à un poids immobile ; il n’en est pas ainsi en réalité, il y a au contraire toujours tiraillement : le poids cède et revient alternativement, et il faudrait connaître ces oscillations pour apprécier exactement le travail qui a été accompli. Quoi qu’il en soit, les mesures entreprises par M. Plateau serviront toujours à donner une idée de l’énergie relative des insectes.

Pour évaluer les efforts de traction, M. Plateau attelait l’insecte à un fil horizontal qui passait sur une petite poulie très mobile et qui portait un petit plateau de balance lesté d’un peu de sable. Pour l’empêcher de dévier latéralement, il le faisait marcher entre deux toits de verre sur une planchette couverte de mousseline, afin d’en rendre la surface rugueuse. Le fil était attaché au corselet. On excitait l’insecte à marcher en avant, puis on versait graduellement du sable dans le plateau jusqu’au moment où l’animal refusait d’avancer. On pesait ensuite le plateau et l’insecte lui-même, et on répétait toujours trois fois la même expérience pour arriver à connaître le plus grand effort que chaque individu pouvait fournir. De cette manière, M. Plateau a trouvé par exemple que le poids moyen du hanne-

  1. Il est bien entendu qu’il ne s’agit point ici de fardeaux traînés sur une route horizontale. Dans ce cas en effet, le poids agit perpendiculairement à la direction du chemin, et la force motrice est employée à vaincre des résistances de frottement, variables avec l’état de la route.