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logique de la civilisation allemande. Il ne faut point nous laisser fasciner et aveugler par la brutalité des faits : ce qui se passe en ce moment en Allemagne est le résultat du concours de certaines circonstances très heureuses pour la Prusse, très habilement et très hardiment mises à profit par son premier ministre; mais, parmi ces circonstances, les plus importantes ont été accidentelles, n’ont rien eu de nécessaire et ne sont point nées des tendances naturelles et de la volonté des peuples allemands. Avant les violentes surprises créées par la guerre, il était manifeste que la majorité des populations germaniques était opposée aux prétentions et aux entreprises prussiennes. Avant les violences du succès, il était donc possible de concevoir et de favoriser un développement de l’Allemagne différent de celui que la Prusse aujourd’hui veut lui imposer à son profit. Nous n’éprouvons aucune antipathie absurde contre la nation prussienne, et nous savons reconnaître les qualités excellentes de l’organisation gouvernementale et militaire de la Prusse. Il n’en est pas moins incontestable que la Prusse doit son triomphe présent en très grande partie à des causes fortuites et étrangères à sa constitution intérieure. Il lui a fallu pour réussir avoir une supériorité d’armement qui ne peut être que temporaire. Pour lui donner l’audace d’entreprendre la révolution qu’elle opère, elle a eu besoin d’une alliance étrangère, celle de l’Italie. L’Italie n’a point gagné de batailles; mais à l’heure décisive elle a occupé cent cinquante mille Autrichiens, qui, s’ils eussent été sur l’Elbe, auraient sans doute changé la fortune des armes. Sans l’alliance de l’Italie, il est certain que la Prusse n’eût pas osé tenter son duel avec l’Autriche. Cette alliance entraînait d’ailleurs des avantages indirects considérables. — Personne en Europe n’ayant supposé que l’Italie pût s’unir à la Prusse sans l’assentiment et contre le vœu de la France, la Prusse, soutenue par cette alliance, avait pour elle la présomption favorable de l’influence française. L’intérêt italien était une chaîne sympathique qui neutralisait la France ou l’entraînait. L’alliance une fois établie avec notre consentement, nous ne pouvions plus en combattre les effets et les tendances sans commettre le contre-sens d’entrer en hostilité contre l’Italie. La Prusse a eu l’immense profit des compromissions de la France envers l’Italie et de cette attitude qui a été peu exactement nommée une neutralité attentive. Et voyez jusqu’où nous a conduits cette étrange solidarité ! Elle nous a endormis dans une inaction qu’on peut dire sans précédons. Nous avons affronté le danger de voir un million d’hommes combattre en Allemagne sans avoir une armée d’observation sur notre frontière, en courant la chance de laisser s’accomplir sur le Rhin des actes qui pouvaient compromettre nos intérêts, et que nous n’aurions pu prévenir ni réprimer par une action immédiate. Que la politique prussienne comprenne donc bien le caractère accidentel de son triomphe et les chances inespérées et uniques, il faut le souhaiter pour l’avenir de la France, dont il lui a été donné de profiter. Son œuvre n’est