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LE NOUVEAU LOUVRE.

tronqué à quatre pans. C’est déjà quelque chose qui nous blesse les yeux que la forme écrasée de ces toits. Un premier essai de ce genre attrista tous les gens de goût, voilà près de trente ans, lorsque pour restaurer, refondre et agrandir l’Hôtel-de-Ville, on en modifia la toiture. Au lieu de ces grands combles à la française, se dressant fièrement en pyramide aiguë et tronquée seulement presque au sommet de l’angle, on nous fit, sous le prétexte de mieux assurer le service des vigies, des pompiers et des rondes de nuit, de vraies terrasses, de larges plates-formes sur chaque pavillon, par conséquent des toits tronqués presque à mi-corps, forme écrasée, aussi lourde que plate, rappelant celle du képi de nos soldats. C’est cette malheureuse toiture, dont aurait dû nous garantir l’exemple de l’Hôtel-de-Ville, qu’on nous a transportée au Louvre en lui donnant encore un supplément de pesanteur. Aussi les quatre pavillons qui en sont affublés feraient déjà triste figure quand même ils n’auraient pas à supporter cette profusion d’ornemens, ce pêle-mêle de fleurs, de fruits, de guirlandes, d’attributs, d’armoiries, de figures qui les surmontent et les écrasent. Nous admettons qu’il fallût des mansardes ornées sur le rampant de ces grands toits, mais à quoi bon ces baies immenses, ces arcades démesurées et ces couronnemens gigantesques ? Pour trouver sur un édifice un tel amas de membres inutiles, pour rencontrer un tel défaut de proportion et de mesure, il faudrait faire bien du chemin. Nous ne voulons pas dire jusqu’où notre pensée voyage quand elle se met à la recherche d’effets à peu près semblables, d’exemples aussi complets de fausse et massive richesse : ce n’est pas en Europe, même au temps de nos décadences les plus complexes et les plus surchargées, c’est au fond de l’Asie, dans les pagodes des Hindous. Nous ne passons pas une fois devant ces mansardes colossales sans que cette analogie bizarre ne nous vienne à l’esprit malgré nous.

Quant aux deux autres pavillons, ceux qui s’élèvent à plus grande hauteur et qui se terminent en coupole, bien que très ornés eux-mêmes, ils prennent par comparaison un air de simplicité ; c’est qu’ils ne sont, à peu de chose près, que la reproduction du pavillon de Lemercier, du pavillon de la cour du Louvre, celui dont le fronton est si hardiment soutenu par les grandes et belles cariatides de Sarrazin. Copier est sans doute un moyen de ne pas s’égarer tout à fait. Pour peu que le modèle soit bon et la copie passable, vous obtenez une œuvre qui, par certains côtés, échappe à la critique, mais en même temps, disons-le bien, la plus pauvre, la moins utile, la plus dangereuse des œuvres. Non-seulement vous ne créez pas et ne mettez au jour qu’un produit presque inerte, faute de sève intérieure ; vous faites plus, vous dépréciez, vous avi-