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Habsbourg, qu’elle devrait s’organiser en confédération comme celle des cantons helvétiques, sur lesquels on s’appuierait; la France se laissera-t-elle envelopper par une Suisse allemande? Les familles se divisent souvent; l’accord ne règne pas nécessairement entre les peuples parce qu’ils sont de même sang et de même langue. Si vous professez, sous prétexte de race et d’unité, que Naples ne pourra jamais se séparer de Florence, ni Munich de Berlin; si vous admettez qu’un vote, plus ou moins éclairé, plus ou moins libre, enchaîne à perpétuité la nation qui l’a émis, vous posez les bases d’un despotisme nouveau qui ne vaudra peut-être pas mieux que l’ancien. Si vous restez au contraire dans la logique de votre principe, si vous admettez qu’un peuple est toujours maître de ses destinées, qu’il ne saurait être enchaîné par un vote émis antérieurement, et qu’il peut toujours approprier le mode et le personnel du gouvernement au régime qu’il désire, vous supprimez tout principe de stabilité, et sous prétexte de nationalité vous détruisez ce qui a fait jusqu’ici la grandeur des nations.

Telles sont les objections : elles ne manquent pas de force assurément, et je ne suis pas surpris que des hommes d’état dont l’éducation politique s’est faite dans les chancelleries considèrent comme une absurdité des plus dangereuses ce prétendu droit des nations découlant de la souveraineté des scrutins. Les conservateurs ont pour eux la loi reconnue, le fait existant, ils sont les sages d’aujourd’hui; mais le bon sens et l’équité ne seraient-ils pas en train de passer du côté de leurs adversaires? Voilà le vrai point de vue pour étudier le problème des nationalités.


III.

En politique, une idée novatrice, — vraiment absurde pour le milieu où elle se produit parce qu’elle y est inapplicable, — devient la seule chose raisonnable et pratique quand le milieu s’est transformé. A l’appui de cette thèse, je citerai un exemple emprunté précisément à l’histoire du droit des gens.

Dans la civilisation gréco-romaine, le droit public autorisait la vente, non-seulement des prisonniers de guerre, mais des populations coupables d’avoir résisté au vainqueur, et dans cette catégorie on comprenait pêle-mêle hommes, femmes, enfans, tous les habitans des villes prises d’assaut. Une armée en campagne était suivie de négocians en esclaves avec des chariots chargés de chaînes, de menottes et d’entraves pour les récalcitrans. Après le combat, les soldats se développaient sur deux lignes au centre desquelles des piques étaient plantées de distance en distance. Les captifs