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daient les peuples en ébullition. Les dernières illusions à cet égard furent dissipées par la tournure que prit l’intervention française dans les affaires romaines. Pendant dix ans, le principe des nationalités ne paraissait plus exister, si ce n’est à l’état de lieu commun, flottant dans le courant de la polémique. En 1859, à la grande stupéfaction du public, un coup de tonnerre ébranle le système européen. Le principe s’affirme par la bouche de Napoléon III, comme une force active, entreprenante, avec laquelle l’ancien monde doit compter. Une armée réputée la première du monde est mise en mouvement, elle remporte une série de victoires, sans autre motif que de constituer la nationalité italienne! Le vainqueur, dans une proclamation aux Italiens, les invite à manifester leurs vœux légitimes. Là-dessus, la municipalité de Milan offre la couronne de Lombardie à Victor-Emmanuel « au nom du nouveau droit social, résultant du principe des nationalités. » Presque tous les états de la péninsule sont agrégés en vertu de la même formule.

Les diplomates de Vienne, plus abasourdis de cette doctrine que les généraux autrichiens de leurs défaites, demandent à Londres si le cabinet britannique reconnaît le droit nouveau, s’il est disposé à l’appliquer aux Indes, au Canada et à l’Irlande. Cette thèse ironique est reprise et développée en plein parlement par lord Normanby. Lord John Russell ne répond pas à cette question embarrassante; mais dans ses dépêches, dans ses discours, il reconnaît sans difficulté le droit qu’ont les peuples de se grouper et de se gouverner à leur guise. Il y a mieux : l’empereur des Français, suivant une expression de M. de Morny, « juge prudent d’interdire à l’Italie les procédés révolutionnaires, » il prétend la contenir dans les liens d’une confédération; mais l’élan de la nationalité italienne emporte avec le traité de Zurich l’idéal du vainqueur de Solferino. Quatre ans plus tard, de nouvelles complications surgissent. La Pologne se soulève, les duchés de l’Elbe réclament leur autonomie, le patriotisme allemand réclame l’unité, l’Italie languit dans une attente fiévreuse et s’épuise en armemens, la question d’Orient est remuée. L’heure du grand classement des peuples va sonner, on le croit du moins, et à la veille d’une telle opération l’Europe prend l’alarme. L’empereur Napoléon inaugure alors un nouveau genre d’intervention. Par une lettre personnelle adressée à dix-neuf chefs d’état, il propose « de régler le présent et d’assurer l’avenir dans un congrès. » L’idée est de nature à éveiller les sympathies, mais elle est neutralisée par la question préalable qu’elle soulève. Quand des souverains ou leurs représentans se réunissent en congrès, on suppose qu’ils vont délibérer en vertu d’un principe commun, et qu’il existe une force matérielle ou morale pour faire, exécuter les déci-