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Pour donner aux combinaisons de leur diplomatie la sanction de la force, les souverains trouvèrent bon de se lier étroitement par une solidarité de principes et d’intérêts. Ils se promirent d’étouffer par une action commune, s’il le fallait, tous les mouvemens subversifs tentés au nom du droit populaire. Le pacte de la sainte-alliance, rendu public en septembre 1815, fournit le commentaire des traités signés vers le même temps. Ainsi les voiles tombaient. Les rois coalisés contre Napoléon avaient obtenu un effort héroïque de leurs peuples en leur promettant la liberté. Après le succès, ils ne songeaient plus qu’à reconstituer leur prétendu droit divin. C’était donc aux tendances de la révolution qu’ils en voulaient bien plus qu’à Napoléon, ce parvenu qu’ils admiraient en dépit d’eux-mêmes pour avoir joué magnifiquement son rôle de monarque. Or la révolution de 1789, par la portion éternellement vraie et généralement acceptée de ses principes, appartient à la conscience humaine; c’est un instrument de libération à l’usage de tous. Considérés à ce point de vue, même par les étrangers, les traités de 1815 apparurent, non plus comme un lien pour garrotter la France, mais comme une atteinte à l’indépendance des autres peuples. L’Europe libérale commença dès lors à protester contre les arrangemens arbitraires de la diplomatie. On revendiquait pour les peuples le droit de s’appartenir, de n’obéir qu’à des gouvernemens de leur choix : aux maximes de la sainte-alliance on opposait la non-intervention, principe nouveau et difficile à définir. De temps en temps, un orateur ou un publiciste risquait un néologisme d’un sens encore vague, et dont personne alors ne prévoyait la haute fortune politique, le mot « nationalité. »

Pour le bonapartisme abattu par les traités de 1815, ce fut une bien heureuse coïncidence que de pouvoir associer ses propres animosités aux ressentimens populaires. Cette portion de sa clientèle qui en était restée aux éblouissemens de la gloire militaire se trouva ainsi fusionnée avec une opposition démocratique qui avait pour elle l’avenir. A force de voir le bonapartisme batailler, d’accord avec les libéraux d’une autre école, contre les odieux traités qui détruisaient le droit des nations, on s’accoutuma à considérer l’affranchissement des nations comme une tendance napoléonienne. Ainsi s’est formé pendant le cours de la restauration un second idéal de bonapartisme très différent de ce qu’avait été en réalité le premier empire. Napoléon Ier, comme tous les hommes d’état de son temps, appartenait à l’école de l’équilibre européen, sauf à en accommoder les théories aux besoins de sa situation personnelle. On l’aurait étonné beaucoup à coup sûr en réclamant l’autonomie des nations, et quand il disposait d’un pays, il ne se souciait guère plus d’obtenir l’assen-