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dans les mépris… Attrempé, coint, féal, prud’homme, courtois, que manque-t-il à notre damoisel pour être la fleur de la chevalerie ? J’entends qu’il soit un Godefroy, un Humbert de Beaujeu ; je veux que, comme Tancrède, s’il vient à rencontrer au passage d’une rivière une pauvresse infirme, il la prenne en croupe. — Que si la fortune ennemie lui envie de longs jours, je souhaite pour sa gloire qu’il meure comme ce chevalier de Philippe-Auguste, comme ce Josselin, gouverneur du château de Mantes, ce preux sans peur et sans reproche qui nourrissait dans son cœur une tendre compassion pour tous les dolens, et, admettant ses prisonniers à sa table, les traitait en amis et en frères. Un jour ces enfans de Satan le frappèrent d’un coup de poignard à l’instant même où il se levait pour leur porter une santé… Écoutez ceci : les soldats du Soudan d’Egypte avaient pris un enfant chrétien et le menaçaient de la mort, s’il ne reniait son Dieu. Comme il s’y refusait : — Où est-il donc, lui dirent-ils, ce Dieu qui t’est si cher ? — Au ciel, répondit l’enfant, et aussi dans mon cœur. — Alors, l’ayant tué, ils lui ouvrirent le cœur, et voici : il en sortit une colombe blanche. Et moi je vous dis : Ouvrez le cœur de la chevalerie, et de ce cœur cuirassé de fer vous verrez sortir une colombe.

Mon ami, je vous ai rappelé ce qu’était au moyen âge l’homme qui possédait la terre et qui tenait l’épée. À ce portrait ajoutez-en deux autres. D’un côté, ce sera, si vous voulez, la figure d’un bourgeois élu par ses pairs chef d’une corporation, fier de cette dignité qui fait de lui un homme public, plein d’honneur à sa façon, — car l’honneur de la communauté est son oracle, — homme de main et de conseil, et quittant son atelier quand le beffroi sonne, endossant le harnais, prêt à répandre son sang pour mettre les franchises de la cité hors d’insulte. Et ce sera, par exemple, ce drapier de Bruges, Pierre, surnommé le Roi, lequel, à la tête de ses vaillans compagnons, fit reculer la fortune de Philippe le Bel… Mais quelque chose de plus grand encore m’apparaît. O divine folie des saints ! le fils d’un riche marchand d’Assise, nourri dans les plaisirs, ami des fêtes, des banquets, sort un jour à cheval et rencontre un lépreux. D’horreur, de dégoût, il détourne la tête ; puis tout à coup, par un retour étrange, il met pied à terre, court au lépreux, le baise sur la bouche. La nature est vaincue. Tu Marcellus eris ! Tu seras saint François !… Vertus chevaleresques, vertus bourgeoises, vertus des saints !… Où sont nos chevaliers, nos François d’Assise, nos Pierre le Roi ?… Ah ! du moins sentons notre petitesse. C’est la seule vertu, je crois, qui puisse honorer notre déchéance.

— Eh ! de grâce, monsieur, dit le baronnet sortant de derrière un buisson, — le beau service que saint François d’Assise rendit