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LE DERNIER AMOUR.

une existence que j’ai faite raisonnable et douce pour nos deux ménages, brûlante et délicieuse pour nous seuls. Je te supplie de te calmer et de reprendre confiance en moi.

Laisse-moi, ajouta-t-il, gouverner ta vie, tes affaires, ton avenir, ton mari lui-même, qui ne demande qu’à se livrer à l’étude des belles choses et à ignorer les émotions poignantes. Ne t’inquiète point de la manière dont j’aime ma chevrière et du nombre d’enfans qu’elle pourra me donner. Elle n’aspire qu’cà en nourrir une douzaine. Il n’y a guère à craindre les charmes d’une femme qui n’a d’autre passion que la maternité. Être jalouse de là Vanina, toi ! c’est absurde, c’est injuste, c’est même inhumain… Pauvre Vanina ! si elle me voyait mourant d’amour à tes pieds, elle tomberait morte d’étonnement et d’humiliation. Yeux-tu donc la tuer, toi, si grande et si noble ? Non, tu ne le veux pas, pas plus que je ne veux tuer mon cher et bon Sylvestre en cessant de le tromper. Respectons nos liens, voilà toute la morale que je comprenne, et ce que je comprends, je m’y range, qu’il m’en coûte ou non. Soyons très bons, très aimables et très prudens ; alors nous serons contons de nous-mêmes, et cela nous rendra contons l’un de l’autre. Savourons nos joies, donnons au travail, aux devoirs et aux affaires les heures qui nous séparent. Ne nous disputons pas pour des misères, pour de l’argent, pour des questions de tien et de mien. Ce sont là des prétextes que tu cherches ou que tu saisis pour épancher ta bile. Laisse-moi conduire ma barque comme je l’entends. Qu’est-ce que ça te fait que je mange mon argent et que j’expose le tien ? Depuis quand tiens-tu à l’argent ? Qu’est-ce que l’argent peut avoir à faire dans nos amours ? Tu dis toi-même que tu n’auras plus d’enfans, et je sais de reste que ton mari méprise les écus. Vas-tu devenir intéressée, toi qui n’as jamais travaillé et amassé que pour les autres ? Allons ! j’ai répondu à tout, je crois ; qu’as-tu encore à dire ?

— Je dis, s’écria Félicie, irritée, que tu es un vicieux et un perfide ! J’admire que, foulant aux pieds toute morale, tu me prêches les devoirs du ménage ! Cela te sied bien, à toi, de prendre la défense de mon mari ! Tiens, avoue donc que tu es déjà las de moi, que tu veux bien de temps en temps venir faire un chapitre de folie avec moi, me prendre comme une aventure piquante,… endormir mes soupçons par une comédie de passion ou de sentiment, par tes paroles traîtresses, par des phrases apprêtées à l’avance et qui jurent dans ta bouche. Le reste du temps, tu aimes ta femme à plein cœur et tu ris de moi avec elle ! Mais écoute, que tu mentes ou non, je ne veux plus de la part que tu me fais. Ce ne sont plus des extases, des mots, des soupirs et des rugissemens qu’il me faut, c’est ton amitié, c’est ta confiance, c’est ta société, c’est ta soumission, c’est toi à tous les momens de ta vie et de la mienne,