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tout ce qui se passait dans cette maison de bois, aussi légère que solide, aussi sonore que bien percée aux quatre points de l’horizon.

Je savais indubitablement ce qui allait se passer. Félicie écrirait ou mettrait un signal sur le haut de la maison pour avertir son amant d’un contre-temps imprévu. Elle sortit deux fois de sa chambre. Deux fois elle m’entendit marcher avec intention sur le balcon du second étage. Elle ne pouvait se glisser dans les greniers sans me rencontrer. Elle renonça à mettre un signal.

Dès lors elle allait écrire : elle ne voulait pas que Tonino supposât qu’elle le laissait volontairement se consumer dans une vaine attente ; mais où lui enverrait-elle sa lettre et par qui ? avait-elle un confident ? — Non. Tonino était trop méfiant ou trop avare pour accepter la menace qu’un complaisant tient suspendue à toute heure sur la tête des coupables. Il devait avoir un moyen de correspondre que je ne devinais pas et que je voulais surprendre.

Le moyen était simple. Elle devait envoyer un exprès à Vanina avec quelques menus objets et commander à cet exprès de passer par les chalets Sixte More, parce que, lui disait-on, Tonino pouvait s’y trouver, ce qui dispenserait le messager d’aller plus loin. Tonino guettait le sentier, et à la vue de l’exprès il devait aller à sa rencontre, se charger du paquet destiné à sa femme et le congédier.

Voilà ce qui résultait de l’introduction d’un de nos petits bergers dans l’étage au-dessous de moi, et de sa sortie au bout d’un instant avec un petit carton sous le bras. Il partait dans la direction du rendez-vous.

Il fallait le gagner de vitesse. Je sortis avec une précaution affectée, comme si, croyant au sommeil de ma femme, je craignais de la réveiller, et sous les fenêtres de sa chambre je m’en fonçai dans un verger assez touffu qui me dérobait à ses regards. J’allais y travailler souvent, elle pouvait croire que j’y resterais quelque temps. J’en sortis par la clôture opposée, en rampant sous les buissons. Je gagnai ainsi une ravine qui, après s’être enfoncée à gauche, remontait bientôt à droite, dans la direction de la grotte. Une fois hors de la vue, je gravis avec tant de prestesse que je croisai l’enfant avant qu’il ne fût entré dans le bois de mélèzes, un kilomètre au moins avant la gorge où devait être Tonino.

— Où vas-tu, mon petit Pierre ? dis-je au messager d’un air de bonne humeur.

— Je vais, répond-il, porter un petit présent au filleul de la dame.

— Justement je vais au Vervalt, repris-je. Donne-moi ça, je m’en charge.