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LE DERNIER AMOUR.

face. À quelles étranges lâchetés, à quelles incroyables effronteries sont entraînées les âmes ainsi dévoyées ! Je puis dire que, malgré mes tristes expériences, jusqu’à ce jour-Là je ne connaissais pas le cœur humain, — ce qu’on appelle le cœur humain, ce que j’appelle, moi, le cœur farouche, personnel, antisocial et antireligieux des êtres qui n’ont pas la notion du vrai devoir humain !

Le jour suivant, comme j’avais annoncé une course qui m’éloignait complètement du lieu du rendez-vous, je vis ma femme s’habiller de bonne heure et se disposer à partir avec moi. M’étais-je trompé sur ses intentions ? Son regard de consentement avait-il menti à Tonino ? ou bien avait-elle eu des remords dans la nuit, et voulait-elle, en s’enchaînant à mes pas, résister à l’attrait fatal qu’elle subissait ?

Je vis bientôt que c’était une feinte. Elle eut tout d’un coup la migraine au moment de me suivre. J’étais résolu, en tout état de cause, à ne pas m’absenter et à ne pas la laisser s’absenter elle-même. Je l’engageai à se coucher, et je lui annonçai que, pour la dispenser de la surveillance du ménage, qui était toujours pour elle une si grosse affaire, je ne sortirais pas de la maison ce jour-là.

Elle ne sut pas me cacher sa surprise et son déplaisir. Elle n’était pas, disait-elle, très sujette à la migraine, et cet état, chez elle, n’était ni très grave ni très douloureux ; je n’avais pas l’habitude de m’en tourmenter ni de lui servir de garde pour si peu. J’allais perdre une belle matinée pour un bobo dont elle serait guérie avant une heure en se tenant tranquille. — Et comme je persistais, comme elle était agitée et ne pouvait tenir en place : — Eh bien ! dit-elle, partons. Je veux vous accompagner, puisque vous êtes décidé à vous inquiéter de moi. Je serais plus malade, si j’étais enfermée, en pensant que vous êtes prisonnier par ma faute.

Elle insista. Nous partîmes ; mais au bout de trois ou quatre cents pas elle s’arrêta, disant que la marche augmentait son mal, et qu’elle sentait bien qu’une heure de sommeil la guérirait. — Allez toujours devant, disait-elle, à midi, j’irai vous rejoindre. Attendez-moi là-haut.

Elle voulait m’échapper, j’avais juré que cela ne serait pas. Je prétendis que j’éprouvais aussi quelque malaise, que c’était signe d’orage, et que dans cette prévision il n’était ni agréable ni prudent d’aller sur les hauteurs.

Je rentrai avec elle, elle me remerciait de ma sollicitude : mais elle en était outrée, cela était évident. Elle ne put se défendre de jeter avec dépit la porte de sa chambre, où elle était censée devoir se reposer.

Je montai à mon cabinet de travail. De là je voyais et j’enten-