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LE DERNIER AMOUR.

— Non, Sixte ! la passion, — et le dépit est une passion violente, — fait croire et dire des choses qu’on se repent plus tard d’avoir dites ou pensées. Il est peu d’honnêtes gens à qui cela ne soit pas arrivé au moins une fois dans la vie. Voyons, souvenez-vous de notre entretien de la semaine dernière, ici près. Vous m’avez dit le pour et le contre. Vous étiez ému et même un peu égaré. Vous veniez de voir, ensemble ou séparément, deux personnes dont l’intimité innocente ou coupable vous a toujours été amère. Vous avez supposé le mal, et pourtant vous ne l’avez pas constaté, car vous me disiez : « Je n’aime plus le souvenir de Mlle Morgeron ! » et un instant après vous disiez : « Je ne l’aimerai plus, si je découvre le crime dont je la soupçonne ! » Aujourd’hui encore vous avez tenu à peu près le même langage, et nous parlerions deux heures sans faire autre chose que de raisonner ou de déraisonner sur une supposition de votre esprit ou du mien.

— Ou du vôtre ! Vous mentez, monsieur Sylvestre ! Que le mot ne vous fâche pas, vous mentez par un bon motif ; vous croyez devoir mentir, mais vous ne doutez pas de la faute ; sans cela, vous ne seriez pas ici.

— Pourquoi pensez-vous cela, puisque vous y êtes également ?

— Ah ! vous êtes plus fin que vous n’en avez l’air. Vous voulez me faire dire ce que je sais.

— Je vous ai défendu de me dire quoi que ce soit !

— C’est-à-dire que vous ne voulez pas m’en savoir gré ; mais si je vous le disais malgré moi, vous seriez content. Eh bien ! prenez que c’est malgré moi. Mes bergers ont vu, il y a déjà un an, votre femme et Tonino venir ici. Il y a donc un an qu’on vous trompe.

— Voilà une pauvre raison pour le croire. Venir ici ne constitue pas un crime contre moi.

— Le saviez-vous ?

— Apparemment, puisque je n’ai pas eu de soupçons.

— Et lundi dernier votre femme vous a-t-elle dit qu’elle y fût venue ?

— Comment aurais-je découvert cette grotte, si elle ne me l’eût indiquée ?

— Vous avez réponse à tout. Allons, je patienterai. Je ne divulguerai rien encore, mais vous voilà averti. Je vous donne un mois pour savoir et pour agir.

— Et moi je vous donne tout ce temps-là pour réfléchir à ce que je vous ai dit.

— Vous me tuerez, si je parle ?

— Ou vous me tuerez ; mais ce sera un combat de sauvages entre nous.