Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/529

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avoir connu. Lord Derby est d’avis qu’entre les conservateurs et les libéraux qui ne sont point prêts à courir jusqu’au radicalisme, il n’y a plus de différence, et c’est sur l’identité de principes qu’il basait l’alliance offerte par lui aux plus importans des libéraux qui ont voté contre le cabinet de lord Russell et de M. Gladstone. La franchise des ouvertures de lord Derby n’a pu décider les libéraux conservateurs à lui fournir des collègues ; ceux-ci n’ont pas voulu que leur conduite pût être attribuée, même en apparence et à tort, à des vues d’ambition personnelle. Ils ont cependant promis au ministère conservateur l’appui de leurs votes. Lord Stanley est revenu sur ce phénomène de la transformation des partis dans son discours aux électeurs qui venaient de le renommer. Il n’a pas dissimulé l’espoir que les scrupules des libéraux seront vaincus l’année prochaine, que leurs membres les plus influens et les plus éloquens pourront accepter des places dans le cabinet, et qu’alors pourra se former une nouvelle majorité gouvernementale certaine et durable. Lord Stanley, ainsi que nous l’avions pressenti et souhaité avant les premiers symptômes de crise ministérielle, a pris dans le cabinet de son père le département des affaires étrangères. Le moment où lord Stanley arrive à la direction de la politique extérieure de son pays n’offre rien d’agréable à un débutant : lord Stanley devra assister passivement aux résultats d’anciennes intrigues et à la liquidation de vieilles fautes. Cependant le choix que lord Stanley, lui qui est considéré par l’opinion publique comme un des plus solides espoirs de la politique anglaise, a fait du département des affaires étrangères prouve que l’on commence à s’inquiéter un peu en Angleterre de l’état du monde et de l’Europe. Dans un discours électoral, lord Stanley ne pouvait sortir de la sphère des considérations générales, mais il a évité les banalités sonores et brillantes ; il a montré tout de suite le sens d’un homme réfléchi. Qu’on en juge par cette définition des principes de la politique de non-intervention si populaire en Angleterre, « Je crois, a-t-il dit, qu’il y a dans l’esprit public une méprise sur le sens et le motif de la politique de non-intervention. On la représente parfois comme une politique simplement égoïste, comme si nous devions nous absorber dans la contemplation de notre prospérité et de notre grandeur et demeurer indifférens aux luttes et aux souffrances du reste de l’humanité. Si telle était la politique de non-intervention, je n’aurais rien à faire avec elle. L’égoïsme n’est pas profitable, nous en faisons tous tôt ou tard l’expérience, et l’égoïsme d’une nation ne diffère point de celui d’un individu. La justification d’une politique d’abstention à l’égard des luttes continentales réside en des causes plus profondes. Elle est dans notre vaste domination de l’Inde et dans nos intérêts coloniaux, qui font de l’empire britannique en quelque sorte un monde à part, qui nous imposent des responsabilités et des devoirs ignorés des gouvernemens continentaux, et forment une charge suffisamment lourde à porter pour une nation ; elle est en partie dans les devoirs qui nous lient à l’inté-