Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/495

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Marie-Antoinette s’était montrée dès son plus jeune âge amoureuse de l’amitié, et ce sentiment la suivit sur le trône : son attachement pour Christine et la vivacité si aimable de ses affections pour Mme de Lamballe et Mme de Polignac en sont la preuve. Ce besoin d’épanchement et d’intimité elle le satisfaisait avec la plume quand elle ne pouvait le faire autrement. Pour aider à rendre invraisemblable et supprimer toute correspondance entre l’aînée et la plus jeune, M. Geffroy introduit une autre correspondance. « On a beaucoup de preuves, dit-il, que Marie-Antoinette en entretenait une assez active, et qui n’est pas publiée, avec Charlotte de Naples. » On est, à cet égard, réduit à des conjectures, car pour des preuves il y en a tout autant en faveur de l’une que de l’autre de ces correspondances, et forcément une première admission entraîne celle de toutes les deux. Sans doute M. Geffroy se fonde-t-il sur la mention, au recueil Arneth, de l’envoi de quelques lettres de Marie-Antoinette allant à Naples par Vienne, chemin bien détourné, mais qui avait l’avantage de les pouvoir faire passer par l’étamine du cabinet Fichier. Sans doute se fonde-t-il encore sur le passage suivant des instructions de Marie-Thérèse, remises à la dauphine le jour de son départ pour la France : « Je ne crois pas que vous deviez écrire à votre famille hors des cas particuliers, et à l’empereur (Joseph II), avec qui vous vous arrangerez sur ce point. Je crois que vous pourriez encore écrire à votre oncle et à votre tante[1], de même qu’au prince Albert[2]. La reine de Naples souhaite votre correspondance. Je n’y trouve aucune difficulté : elle ne vous dira rien que de raisonnable et d’utile. » Suivent de pompeux éloges de la reine de Naples[3].

Marie-Caroline, spirituelle, brillante, démonstrative, le cœur gonflé de passions et d’orgueil de race, hardie et poussée par un besoin effréné de mouvement, était un des instrumens que Marie-Thérèse se réservait de mettre en œuvre pour sa politique. Les yeux toujours tournés vers l’Italie, l’impératrice avait compté que par elle il lui serait facile de conduire le cabinet sicilien, et elle eût souhaité qu’une si bonne élève qui avait dominé sans peine l’indolence et l’indécision de son mari, le pauvre Ferdinand IV, correspondît avec Marie-Antoinette, et pût exercer quelque influence sur cette jeune princesse, dans les intérêts d’une politique commune. On trouve en effet au recueil Arneth, cinq ou six mois après

  1. Le prince Charles de Lorraine, gouverneur-général des Pays-Bas jusqu’en 1780, époque de sa mort, et la princesse Charlotte de Lorraine, frère et sœur de l’empereur François Ier, père de Marie-Antoinette.
  2. Mari de Marie-Christine.
  3. Arneth, p. 5.