Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/489

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Barry. » Discutez donc maintenant. Les choses les plus simples ne sont pas toujours celles qui apparaissent en premier. Cet exemple, comme tant d’autres déjà cités, ou que je pourrais citer encore, démontre l’attention scrupuleuse que l’on doit savoir mettre dans l’interprétation et l’usage des documens écrits; mais si c’est un tort de ne pas se donner tout le temps de les examiner et contrôler, viser et reviser sous toutes les faces avant de les admettre, le tort assurément ne serait pas moindre de les condamner sans les mêmes et rigoureuses précautions. Cependant, la difficulté matérielle écartée, surgit un point plus important encore : les adversaires attaquent la lettre non plus dans sa partie graphique, mais au cœur, mais dans son esprit. La dispute ne fait que changer de terrain.

La jeune dauphine, cédant à son instinct natif, ne voulait rien avoir affaire avec Mme Du Barry. Aussi, pendant toute l’année 1771, fut-elle continuellement en querelle à ce sujet avec sa mère. Celle-ci voudrait qu’elle adressât la parole à la favorite par déférence pour le roi, qu’elle la traitât avec bienveillance, avec égard, au moins à l’égal des autres dames qui avaient bouche à cour, tandis que Marie-Antoinette, dont l’honnêteté n’avait pas eu le temps de se tempérer de politique et de ménagement pour ce qui n’était pas sa famille, répugnait absolument à faire amitié avec ce qu’elle n’aimait pas. Dès son arrivée en France, alors que Louis XV lui a imposé l’humiliation de s’asseoir à côté de cette femme, sortie, comme Vénus, « de l’écume de l’onde, » suivant le mot rimé par Nivernais, elle écrit à sa mère, un jour de sainte austérité, un jour de confesse[1] : « C’est à faire pitié la faiblesse que le roi a pour Mme Du Barry, qui est la plus sotte et impertinente créature imaginable. » Appuyée, comme elle le doit, sur le bras de son mari, dont les répugnances sont au moins égales aux siennes, Marie-Antoinette ne veut absolument pas plier, car c’est plier, devant le scandale de la favorite. La mère revient à la charge avec une insistance impérieuse. La fille, dont le cœur se soulève, dans la première naïveté de ses impressions, répond qu’elle a des raisons de croire que le roi lui-même (après tout homme d’esprit et d’équité dans son abandon et qui n’exige rien, à cet endroit, du dauphin) ne désire pas qu’elle parle à « la Barry, » comme elle la nomme. Le roi, ajoute-t-elle, « me fait plus d’amitié depuis qu’il sait que j’ai refusé, et si vous étiez à portée de voir comme moi tout ce qui se passe ici, vous croiriez que cette femme et sa clique ne seraient pas contens d’une parole, et ce serait toujours à recommencer. Vous pouvez être as-

  1. 9 juillet 1760. Arneth, p. 10.