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Quant à la participation de l’abbé à la correspondance, elle est tout aussi bien prouvée; elle résulte des témoignages que nous avons rapportés plus haut, elle résulte encore de l’existence de corrections de sa main sur trois lettres de la reine[1]. Libre à nos censeurs d’user ici de leur méthode courante, de crier à l’apocryphe ; mais encore une fois le moyen est caduc, et tombe devant l’examen des pièces. Et toutefois je ne prétends nullement avancer qu’il n’y ait aucune lettre de Marie-Antoinette qui, jusqu’en 1789, époque de l’émigration de l’abbé de Vermond, n’ait porté la griffe de cet abbé. Il me paraît au contraire impossible qu’il n’y en ait point eu que la dauphine, que la reine n’ait réservées et soustraites à ses regards. Qui n’a des secrets intimes? qui n’a plus ou moins son idéal, son rêve, sa joie d’au-delà, son nuage de bonheur, sa vraie couronne de là-haut? Marie-Antoinette avait un peu de tout cela : son aspiration suprême était la gloire d’être réellement reine de France, d’être la mère d’un dauphin, et cette gloire lui était refusée. Ces légitimes épanchemens qu’à peine les femmes se murmurent à l’oreille, ces hontes sacrées qui font monter la rougeur au front d’une fille, même devant sa mère, ne peuvent avoir passé sous les yeux de Vermond. Fiez-vous-en à l’instinct de la jeune femme.

En résumé, la question est ici nettement et catégoriquement posée. De deux choses l’une : ou vous reconnaissez comme étant sorties uniquement de la minerve de Marie-Antoinette ses lettres à Rosenberg, ou vous admettez au contraire que la correction, que la vivacité française du style décèleraient, au moins en l’une d’elles, l’intervention d’une main étrangère. Alors le dilemme est inexorable : il faut nécessairement admettre dans l’un et dans l’autre cas celles des lettres de mon recueil que vous avez attaquées.

Cet art savant, mais dangereux et si plein de chimères de la critique, s’est aventuré à dire que les lettres qu’il attaque ont volé leur semblant d’originalité aux mémoires du temps : — à Mme Campan, à Weber, à la Gazette. M. Geffroy a même été jusqu’à ajouter le nom de ce méprisable et audacieux menteur Soulavie. J’ai déjà répondu à des assertions aussi mal justifiées. Eh ! tant mieux si les lettres sont d’accord avec les chroniques publiques ou secrètes du temps; c’est une preuve d’authenticité de plus. Mme Campan, femme de chambre de la reine, jouissant de cette liberté d’allure de l’intimité dont on ne se méfie plus à force de s’en servir, initiée aux secrets, saisissant à la volée les moindres paroles, lisant probablement les lettres de la reine, Mme Cam-

  1. 10 avril 1778, 21 juin 1782, 16 novembre 1783.