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chose qui me tient pourtant fort à cœur. Vous savez que souvent je vous ai parlé du roi et de ma peine de voir qu’on est si injuste pour lui. Tâchez donc, dans votre conversation, de bien prouver qu’il n’est pas si insouciant qu’on le dit, et qu’il est aussi malheureux qu’il peut l’être, car c’est bien vrai. »


V.

Il est un point à signaler, beaucoup plus important que les adversaires n’affectent de le reconnaître, à savoir que les lettres du recueil viennois ne sont guère, à le bien prendre, qu’un triage anciennement fait des plus intimes et secrètes, où l’éditeur, par respect pour ses lectrices, a dû beaucoup élaguer. Malgré le tact qu’il a su mettre dans ses omissions, il n’a déjà que trop laissé de ces détails incompatibles avec la publicité. Ce n’est donc là en fin de compte qu’une minime portion des correspondances échangées entre Marie-Thérèse et Marie-Antoinette.

Arrêtons-nous un instant et comptons.

Le volume ne se compose, avec les additions de la seconde édition, que de soixante-treize pièces de Marie-Thérèse et de quatre-vingt-quatorze de Marie-Antoinette. Or celle-ci écrivait régulièrement tous les quinze jours par les courriers de la maison d’Autriche, sans préjudice des envois par les courriers français, par les occasions, par la poste. A ne supputer, à la dernière rigueur, que deux lettres par mois, il devrait, en dix ans (de 1770, époque du mariage de Marie-Antoinette, à 1780, date de la mort de sa mère), il devrait se trouver deux cent quarante-deux lettres de la reine de France. Et de fait on constate que, dans cette correspondance de la mère et de la fille, les épîtres sont loin de se toujours répondre. Ainsi Marie-Thérèse a écrit le 9 juillet et le 17 août 1771. Dans ces mois-là, nulle lettre de la dauphine. Sa dernière était du 21 juin; la première qui vient ensuite est du 2 septembre. Des lacunes se succèdent ainsi, d’une part et de l’autre, de trois mois en trois mois, de quatre mois, de cinq, même de six : preuve évidente que le cahier de copies fait par Pichler, secrétaire de Marie-Thérèse et chef de son cabinet noir, ne l’a été que longtemps après coup. Quand il le fit, des lacunes existaient déjà dans la collection des originaux, comme cela résulte du défaut de suite des lettres. Depuis la copie faite, nouvelles lacunes : il a disparu encore plus des deux tiers de la correspondance. La preuve, c’est que des quatre-vingt-douze lettres de Marie-Antoinette composant les transcriptions du secrétaire impérial, M. d’Arneth n’a plus trouvé que