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y avait de plus convenable aux circonstances. En un mot, chez elle l’âme dominait l’esprit. Aussi ne m’étonné-je pas de l’exclamation : « O ma bonne mère! » qui lui échappe sous la première impression de la mort du roi et de son propre avènement au trône, à un âge si tendre, tandis que, dans la lettre qu’elle écrit, quatre jours après, à sa mère, elle débute par l’entrée ordinaire : « madame ma très chère mère. » Autre moment, autre mouvement de l’âme, autre langage. A côté de cela, elle aura ses échappées de sève juvénile. Qu’elle ait jeté sur le papier le fusain du comte d’Artois, « qui, toujours monté en gaîté, a un mot sur tout, est léger comme un page, et s’inquiète peu de la grammaire ni de quoi que ce soit » (notez qu’il venait d’être question de grammaire, à propos d’une faute de langue sur laquelle le précieux comte de Provence avait repris sa sœur Clotilde, qui de confusion ne savait où se cacher); qu’elle ait remarqué aussi que ce dernier prince « se livre peu, se tient dans sa cravate et glisse sur ses pointes » (se tenir dans sa cravate, expression courante; glisser sur ses pointes, autre locution technique et banale, pour rendre la marche des talons rouges, corps en arrière, cou-de-pied tendu); qu’elle ait décrit encore la comtesse d’Artois lors de son entrée en cour : « toute petite de taille, avenante de figure et fraîche comme une rose, avec un nez qui n’en finit pas; » je ne vois là que des lieux communs d’enfant espiègle un jour de gaîté. Tout au plus soupçonnerais-je que le crayon de l’abbé de Vermond eût passé par là, ou plutôt que la mémoire de l’écrivain eût fait les frais du style. La dauphine, si neuve encore dans le pays, était à cet âge tendre où l’on n’est pas toujours entièrement soi-même, et il ne serait pas surprenant que ses entours eussent un peu déteint sur elle. Il ne faut pas oublier en effet qu’elle avait eu tout d’abord pour dame du palais et malheureusement pour favorite cette étrange duchesse de Pecquigny, enjouée, piquante, emporte-pièce, qui s’exhalait en bons mots et en portraits plaisans, et qui l’avait rendue ironique et frondeuse. Femme singulière, en vérité, que cette duchesse de Pecquigny, non moins spirituelle et sarcastique que sa belle-mère, la fameuse duchesse de ce nom, depuis duchesse de Chaulnes, et enfin « la femme à Giac, » comme elle se qualifiait elle-même, dont l’esprit, suivant la marquise Du Deffand, « ne pouvait être comparé qu’à l’espace, en avait pour ainsi dire toutes les dimensions, la profondeur, l’étendue et le néant! » Marie -Antoinette comprit un jour ou l’on comprit pour elle le tort que lui faisait cette amazone de l’épigramme et de la moquerie. Elle s’en sépara et fit bien, mais l’empreinte était prise et dura, et les sourires qu’elle cachait derrière l’éventail, ceux-là surtout qu’elle laissa encore échapper le jour de la révérence pour le deuil du feu roi, avaient fait une impression